Le Scarabée
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De notre envoyé spécial à Atlanta

par ARNO*
mise en ligne : 27 juillet 1996
 

FAQ à l’usage du journaliste sportif devant couvrir un attentat.

Cher ami journaliste sportif, ce n’est vraiment pas de chance pour toi : tu vas devoir couvrir un évènement pour lequel tu n’as reçu aucune formation. Déjà, quand ton patron t’avait commandé un papier sur la chasse aux SDF dans Altanta, tu t’en étais sorti en recopiant un vieux sujet sur Carcassonne. Mais là, un attentat, et à chaud en plus, ce n’est vraiment pas ton truc. Heureusement, le Scarabée est là pour te prodiguer tes premiers cours d’évènementiel/sensationnel.

Te voilà donc sur les lieux, le micro à la main, pour une première intervention en direct. Pas de panique : « sur les lieux », ça peut être dans le hall de ton hôtel.

Problème : tu as encore la gueule de bois, suite à la fête organisée hier soir par l’équipe de France de judo. Pas de panique, fait passer ton élocution mal assurée pour de l’émotion, et mets de côté tes anecdotes de beuverie, ça pourra toujours servir plus tard.

Deuxième problème, tu passes à l’antenne avant même de savoir ce qu’il s’est passé. Encore un fois, pas de panique, c’est seulement du journalisme, on ne te demande pas d’être au courant. Pour le nombre de victimes, prend un nombre entre 2 et 200 (parle de « premières estimations », ça excuse tout), et pour le lieu, tout le monde s’en fout (d’ailleurs, c’est où, Atlanta ?).

Troisième problème : bloqué à l’hôtel, tu n’as pas de témoin. Le gardien de l’hôtel fera un excellent « responsable de la sécurité, ici, à Atlanta ».

Te voilà prêt pour ton premier reportage en direct, sur le vif. Maintenant, il va falloir tenir le rythme d’une intervention de 7 minutes toutes les demi-heures. Fait jouer tes relations avec l’équipe de natation chinoise pour obtenir quelques pillules magiques.

Voici quelques petites phrases bateau qui te permettront de maintenir la tension : « la police entend actuellement les témoins », « le président Clinton a été réveillé au milieu de la nuit », « l’Elysée est tenue au courant minute par minute », « le Consul de France s’est immédiatement rendu sur les lieux », « l’engin était programmé pour tuer » (sic). Inutile de te rappeler à quel point ce genre d’évidences n’apprend rien à tes auditeurs, mais bon, tu n’es que journaliste, après tout.

A chaque intervention, il te faut maintenant trouver un nouveau témoin. Par exemple, un judoka français (lui aussi avec une sérieuse gueule de bois) pourra témoigner de sa stupéfaction. Fais-lui alors remarquer que le restaurant n’était pas loin du lieu de l’attentat (c’est dingue ce que tu es renseigné !). N’hésite pas, non plus, à récupérer les témoins de CNN et LCI : « cette jeune italienne qui devait se rendre au concert, mais qui a raté son taxi, un miracle ». Si tu manques de témoins oculaires, témoigne à leur place : « j’ai rencontré ce jeune homme, qui était sur place au moment des faits, traumatisé par ce qu’il a vu ; les médecins m’ont confié que son audition était touchée » (inutile de préciser qu’il était trop près de la sono).

Afin d’éviter la lassitude, essaie, autant que possible, de varier les expressions. Ainsi, « explosion » se dit également « déflagration », « attentat », « acte terroriste », « évènement », « massacre », « cauchemar ». « Bombe » se dit « engin », « explosifs », « la charge ». Chacune de ces expressions sera complétée d’un des adjectifs suivants : « meurtrier », « lâche », « sanglant » (c’est bon, ça, coco, « sanglant » !), « odieux ». Exemple : « engin meurtier », « acte odieux »... Pour les sentiments, il n’y a pas trop le choix, c’est « la stupeur » ou « la colère ».

Et quand tu n’as plus rien à dire, essaie de lancer quelques débats oiseux : « la sécurité laisse à désirer », « les Jeux peuvent-ils continuer ? », « les journalistes américains font dans le sensationnel » (sic). Rappelle-toi en permanence qu’on ne te demande pas d’être objectif. N’attend pas les réultats de l’enquête pour annoncer, immédiatement, l’« attentat », et transformer « l’explosion du Boing » en « attentat contre l’avion de la TWA », et balance immédiatement à l’antenne le moindre début de rumeur : « sac en papier », « lueur bleue avant l’explosion », « écho radar suspect », « individus suspects dans une Mercedes »...

Armé de ces quelques méthodes de travail, tu vas pouvoir nous tenir en haleine toute la journée et parfaitement « couvrir l’évènement ». Un vrai pro !

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