Le Scarabée
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J'ai pris le métro !

par ARNO*
mise en ligne : 21 janvier 1998
 

Faut que je vous raconte ça...

J’ai pris le métro !

Je dois bien avouer, je suis comme Balladur : le métro, je ne le prends pas tous les jours. Je vous livre vite fait mes impressions.

Tôt le matin (14 heures), j’arrive à la station de métro à côté de chez moi. Ca se confirme, j’habite pas une banlieue riche, vu qu’il n’y a pas de vendeur de journaux dans la station. Dans les stations des banlieues huppées (d’où je viens), on avait toujours un Relais H, histoire de pouvoir acheter le Figaro ou le Financial Times. Chez moi, c’est un coin tellement modeste qu’on ne peut même pas acheter l’Huma. Faudra donc que je me contente de la lecture des affiches publicitaires.

Arrivé à ce moment précis de mon histoire, j’aborde, avec toute la fierté du gars qui a les moyens de payer sa place, la sympathique préposée au guichet. Je tends royalement ma pièce de cinq francs et lâche, tel un prince que le contact du petit peuple n’effraie pas (je vous l’ai dit, avant j’habitais un quartier bourgeois) : « un ticket, siouplaît ». A ma mine déconfite, je compris ma méprise : le ticket coûte désormais 8 francs. Huit balles le ticket ! Je commence à comprendre pourquoi les pauvres sont pauvres... à ce prix-là, le RMIste est bon pour aller à pied (et moi il ne me reste plus que deux francs en poche).

J’arrive enfin sur le quai après avoir dûment poinçonné mon ticket (putain, huit balles !). Là, surprise : dans la laideur blâfarde de la station, ils ont installé un distributeur de boissons, rutilant de sa belle façade rétro-éclairée. Je n’en reviens pas ! (C’est vrai, ça fait très très longtemps que je n’ai pas pris le métro.) Et un distributeur de bonbons, aussi ! C’est sympa, remarquez, ça doit être pour que les clodos puissent se sustenter la nuit (non ?).

Un clodo, justement, il y en a un (pas un SDF : un clodo, à l’ancienne). Extrêmement imbibé, le gars. Je lui file les deux francs qui me restent, il me souhaite une « bonne année, mon gars... et je le pense vraiment », et on commence à discuter (ben oui, peut-être bien que je ne prends jamais le métro, en revanche j’aime bien discuter avec les clodos, ils sont directs et chaleureux, ils ont toujours de belles histoires à raconter — enfin, « belles », je me comprends). On devise sur les asiles de nuit, pas sympas et pas sûrs (qu’est-ce que j’en sais, moi ?), il me balance avec un grand sourire que « ben mon gars, maintenant j’ai plus de monnaie que toi », je réponds en rigolant que « peut-être, mais moi j’ai une carte bleue ». Je suis con, des fois... mais ça le fait marrer. Après tout, si tu n’es pas franc avec un clodo, t’es franc avec personne.

Mon métro arrive à quai dans un crissement digne d’une Mercedes classe A qui prend un virage trop serré (ça, au moins, ça n’a pas changé). Je salue mon hôte et j’embarque.

Dehors les affiches se mettent à défiler. J’en note une, marquée : « Johnny Hallyday met le feu au Stade de France ». Johnny Hallyday, vous savez bien : « Cocaïne le matin, chagrin ; cocaïne le soir, espoir ». Un doute m’assaille : il n’est pas impossible que j’ai été conçu sur un disque de Johnny. Il y a des antécédents dont on n’est pas fier... Tiens, maintenant ça me revient : la dernière fois que j’ai pris le métro, on cherchait un nom au Stade de France. Je me dis que mettre le feu au Stade de France, c’est une bonne initiative. Je me dis aussi qu’ils l’ont construit à l’exact opposé de Paris par rapport à chez moi, et que c’est une drôlement bonne chose (tous les ans je me tape le Salon de l’Agriculture, c’est pas pour avoir, en plus, la coupe du monde de fooshtebale).

A Porte d’Italie, un jeune type monte avec un accordéon. Finalement, si pour huit francs on a droit à la musique, c’est pas mal. Mais non : la musique, c’est en plus. Le type massacre successivement la valse André Rieu de la pub télé pour le papier toilette et le jingle des Chroniques religieuses de France Inter. Vu qu’il n’a pas chanté (ce qui rend sa prestation infiniment supérieure à celles de Céline Dion), je lui donnerais bien la pièce. Pas de chance pour lui, entre les huit francs du ticket (c’est pas croyable, j’ai dû me faire arnaquer) et les deux francs du clodo, je suis raide. En réalité, personne ne donne : les temps sont durs, les gens sont blindés (vous avez remarqué : les gens qui ne veulent pas donner font toujours semblant de ne pas écouter).

On arrive à mon terminus. Les panneaux publicitaires défilent en ralentissant jusqu’à l’arrêt. C’est pas croyable le nombre de pubs ! Je me dis que si j’étais enfermé à l’intérieur d’un poste de télévision, ça me ferait le même effet. Vous allez dire que je deviens monomaniaque, mais avec toute cette pub, le métro devrait être gratuit...

La porte s’ouvre en faisant le même bruit hydro-pneumatique (pschht !) qu’une princesse qu’on désincarcère d’une Mercedes. Je suis le premier, tout contre la porte (normal, puisque je suis debout depuis trois stations, pour ne pas rater ma station). Je suis devant, et la grosse dame derrière est très grosse, et aussi très pressée. Je suis éjecté lestement du wagon.

Là, vous n’imaginez pas ma stupeur. Je me relève au pied d’une paire de couillons moustachus à bérets, revêtus d’un treillis intégral et exhibant des pistolets-mitrailleurs de gros calibre. Quoi, on se serait fait envahir par les Irakiens pendant la nuit ? Non, je vous rassure, c’est seulement une de ces mesures sécuritaires à la con. A quoi sert ce gros joujou, je vous le demande ? S’ils trouvent une bombe, ils tirent dessus ? Et puis regardez-moi ces tronches d’abrutis ! Comment ils font, à l’armée, pour que leurs militaires de carrière aient tous des bobines aussi graves (on les autorise à se reproduire, ceux-là, y’a pas de risques génétiques ?) ? En tout cas, des deux-là m’ont l’air aussi con qu’un digicode.

Je cours (lentement, quand même, pour ne pas me faire tirer dessus) vers la sortie. En haut des marches, je suis accueilli par une des ces nouvelles poubelles « Vigilance propreté » (le type qui a inventé le nom gagne à être connu !) : un truc difforme en plastique verdâtre et translucide (plus verdâtre, y’a pas) d’une laideur que t’y crois pas. Les poseurs de bombes sont encore responsables d’une nouvelle dégradation de notre cadre de vie.

Pour finir, je croise une nouvelle race de policiers : à casquette de sport et blouson à l’américaine. Un croisement élégant entre un CRS en week-end dans une cité HLM à problèmes et un membre du service d’ordre du Front national à la sortie d’une mosquée. Le genre, t’as pas envie de leur demander ton chemin...

Paris sera toujours Paris.

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