Le Scarabée
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J'y arrive pas

par ARNO*
mise en ligne : 15 avril 1998
 

J’ai bien essayé, mais finalement vous n’aurez pas d’édito du Scarabée contre la politique du gouvernement. Désolé...

Bon, ben, j’y ai pas arrivé. Ca fait une bonne dizaine d’éditos que je ne publie pas. La plupart sont d’ailleurs inachevés, interrompus à la moitié. J’y arrive pas, je sèche.

C’est pas que je n’arrive pas, dans l’absolu, à dire du mal de la gauche, c’est que je n’arrive pas à en dire du mal bien... Quand la droite dirigeait, sans me vanter, j’arrivais plutôt bien à en dire du mal ; y’a même quelques formules dont je suis carrément content. Mais critiquer la gauche, je fais ça comme un cochon : ça donne des textes haineux ; et mes textes haineux, je les garde pour moi. Le Scarabée, ça doit être un espace de convivialité nian-nian, de bonté tarte et d’amour débilitant ; c’est comme ça que je vois les choses. Alors quand je deviens haineux, je me censure.

Que la droite dérive vers le fascisme, qu’elle enfonce ceux qui bossent au profit des rentiers, qu’elle nous mette des flics partout, c’est plutôt normal. C’est son boulot, à la droite, d’être un parti de cons.

Mais la gauche, bon sang, c’est quand même la gauche !

Alors quand la gauche fait la promotion de la flexibilité et de l’annualisation du temps de travail sous couvert des 35 heures, les deux tiers des emplois créés en France étant déjà des emplois précaires... je deviens haineux. On ne peut pas être de gauche et libéral ; c’est inconcevable.

Quand la gauche matraque les chômeurs pendant que la bourse bat tous ses records (deux événements certainement liés), quand Jospin annonce fièrement l’alignement des minima sociaux sur l’inflation alors que les prix baissent, quand le gouvernement décide l’augmentation du budget de la défense de 4 milliards par an dans les quatre prochains budgets, quand on apprend que Vigipirate n’est toujours pas levé... je deviens haineux. On ne peut pas être de gauche et foutre des coups de matraque sur la gueule aux pauvres ; c’est inconcevable.

Quand les pseudo-régularisations servent à ficher les sans-papiers (qui, de facto, se retrouvent avec des papiers - mais à la préfecture), quand Chevènement refuse les régularisations, quand Jospin conserve les lois Pasque-Debré (auxquelles il doit largement son élection), quand les expulsions sauvages continuent (tiens, deux journalistes de Libération ont même été arrêtés à l’aéroport par des flics très énervés), quand le Ministre de l’Intérieur dénonce les curés qui hébergent des sans-papiers (ça fait le jeu de Le Pen, il paraît, les curés de gauche) et qualifie les associations de soutien de « trotskistes », britanniques qui plus est (vous en connaissez beaucoup, vous, des trotskistes anglais ?), et que ces mêmes associations pourront être poursuivies pour leurs activités par la grâce de sa nouvelle loi sur l’immigration, quand Julien « Touche pas mon pote » Dray propose d’affréter des avions militaires pour reconduire les immigrés... je deviens haineux.

La gauche qui mène une politique de droite, c’est une insulte à la démocratie : moi, petit électeur (fidèle) de la gauche, je ne peux plus voter. Je ne peux pas voter pour une gauche néolibérale, répressive et xénophobe (lisez les dernières élucubrations d’Alain Finkelkraut, ça vaut son pesant de charters). Et comme je ne suis pas d’extrême-gauche, je ne peux pas voter pour l’extrême gauche - ça me semble logique. Il n’y a plus aucun parti politique entre la droite (Jospin, Chevènement et Strauss-Kahn) et l’extrême-gauche. Ca fait, grosso-modo, un bon tiers des Français qui ne sont plus représentés par aucun parti. Quand je pouvais encore voter (pensant, naïvement, que le programme de la gauche était de gauche), on m’a pris pour un gamin : « tu crois que tu veux la gauche, mais en réalité tu veux la droite, alors tu auras la droite de gauche... ». Maintenant je ne peux plus voter, ça me débecte au-delà de tout. Quand je les entends renoncer à tout au motif que « gauche plurielle » et « réalisme » et « Tony Blair » et « les sondages sont bons », je deviens haineux.

Pour tout cela, je ne trouve pas de formules marrantes, d’images rigolotes. Quand la droite est libérale, j’invoque le radeau de la Méduse ; quand elle est xénophobe, je vous fais un petit conte moderne (le joueur de flûte) ; quand elle est répressive, c’est encore une bonne occasion de rigoler. Mais voilà, ce n’est plus la droite, c’est la gauche... ça me rend amer, méchant, haineux, il ne me vient plus que des insultes, des bassesses...

Et je me déteste, quand je suis comme ça. J’aurais trop honte de vous faire un article qui pue la haine.

C’est pourquoi vous n’aurez pas d’édito du Scarabée contre la politique de la gauche.

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