Le Scarabée
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L'image de la France

par ARNO*
mise en ligne : 26 juin 1998
 

Attention, cet édito constitue une atteinte à l’image de notre pays.

« L’image de la France ». Prononcez avec emphase et délectation. Surjouez l’intonation (façon politichien). Et surtout, surtout, exploitez cet argument pour conclure toute discussion sur n’importe quel sujet (« Et la couleur de ta cravate, c’est pas une atteinte à l’image de la France, connard ? »).

L’image de la France, c’est un concept que je n’ai jamais bien compris. Ca n’est pas un fait, ni un événement, c’est seulement un absolu inquantifiable qu’on sort comme ça quand on manque d’arguments. Par exemple, les gauchistes qui dénoncent le libéralisme dans le Monde Diplomatique, hé ben ils ont tort parce que ces débats oiseux nuisent à l’image de la France selon Jean-Marc Sylvestre (lequel est sans doute le sous-doué télévisé qui abuse le plus de l’argumentaire « l’image de la France », « la crédibilité de la France » ou, mieux encore, « la façon dont nous perçoivent nos interlocuteurs »).

L’autre soir, sur France Inter, je tombe sur un vague débat, que j’écoutaillonne mollement en me préparant mon plateau-Internet de la soirée, et j’entends, entre les crachottements de ma machine à café et les miaulements affamés de mon tapis anti-souris, une démonstration édifiante : « La façon dont sont arbitrés les matchs de la Coupe du Monde, c’est très mauvais pour l’image de la France ». Diantre, pense-je ! Quelle affaire...

Aussitôt je me dis : faut que je vérifie ça illico, parce que quand même faudrait pas que les ricains trouvent là une nouvelle occasion de nous dénigrer l’exception culturelle ! Je branche mon Internet et explore le cyberespace, sous le prétexte de « World Coupe, image of ze France ». Figurez-vous que c’est pas croyable, mais j’ai trouvé que dalle : l’image de notre grande nation est entâchée à jamais par un arbitrage inconséquent, mais personne à l’étranger ne le sait. Si c’est pas fou, ça !

La semaine d’auparavant, c’était la grève des pilotes d’Air France qui nuisait à l’image de chez nous (normal, dans « Air France » il y a « France » - ne cherchez pas plus loin). Pareil, conscience professionnelle de webmestre amateur oblige, je m’en suis allé vérifier sur l’Internet, sur le site « World Coupe 98 » de chez Yahoo de là-bas. Pas un mot sur nos grévistes, rien sur les menaces éventuelles à la coupe, et plus généralement rien sur la France. C’est pas possible que l’image de notre pays se dégrade à ce point dans l’indifférence générale de nos interlocuteurs. L’image que nous avons de l’image que nous présentons aux autres, c’est pas la même que l’image que les autres ont de nous (suis-je clair ?). A moins, justement, qu’elle soit si dégradée, notre image, que nos interlocuteurs ignorent jusqu’à notre existence. D’ailleurs, c’est quand la dernière fois qu’un grand journal américain a titré : « Graves menaces sur l’image de la France, vendez vos actions EuroTunnel ».

Autant être clair. Le monde est dominé par les Américains. Et les ricains ne seraient pas foutus de placer notre grandiose pays sur une mappe-monde. Les visiteurs de « Yahoo, WorldCoupe 98 » imaginent que Paris est le nom d’un stade du middle-west. Quant aux décideurs de Wall-Street, l’image du monde s’arrête quelquepart entre Manhattan et le New-Jersey. La prochaine fois que Sylvestre en appelle à l’image de la France, rappelez-vous que ces gens-là ne savent même pas que « My Way » est une chanson française...

Cet art de tout ramener à la façon dont le monde perçoit notre pays, ça, faut reconnaître, y’a pas plus franchouillard. Tout le monde s’en tape ! Un peu comme si, chaque fois que je vais pisser, je me demandais gravement : « Qu’est-ce que les autres vont penser de moi ? ».

Il y a quand même un truc que je soupçonne : tout ce qui n’est pas travail, famille, patrie, tout ce qui n’est pas ordre, respect de l’autorité, tout ce qui ressemble, de près ou de loin, à de la contestation sociale, à de l’agitation, ça nuit à l’image de la France. La colère des producteurs de fruits et légume, c’est pas bon pour vous savez quoi, avec la gay-pride on passe pour des tapettes au regard de nos partenaires, les manifs de chômeurs, l’impact sur la crédibilité qu’on a, dites-donc, c’est pas terrible, hein ? En somme, tout ce que, à la limite, je pourrais considérer dans notre histoire comme des raisons de fierté, ça nuit à l’image de la France. Mais je dois bien avouer qu’on a vu plus gaulliste de droite que moi.

Prenez par exemple le salon de l’armement terrestre il y a quelques semaines. Personnellement, je classe ça dans les graves nuisances à notre image, le fait que nous soyons l’un des plus gros fabricants d’armes de la planète. C’est idiot, en réalité c’est bon pour l’image (et la planète est fière de nous, d’ailleurs) de voir chaque année mourir autant d’hommes au nom de la France (c’est-à-dire qu’il y a marqué « made in France » sur l’arme qui vient de leur trouer la peau).

De même, le fouchteball, la WordCoupe, paraît que c’est bon pour notre image. Si quelqu’un peut m’expliquer ça, je suis preneur ; ça complètera mon éducation.

Bon, c’est pas tout ça, mais je me rend compte que j’accumule les fautes d’atteinte au bon causer de la France, que ce site est visité aux quatre coins du globe par des estrangers qui comptent sur moi pour faire briller notre belle culture qu’est la nôtre, qu’en quelque sorte, je suis un ambassadeur de mon pays chez les hostiles xénoformes qui peuplent le reste de l’univers, alors faut que j’arrête, parce que là, à tous coups, c’est des histoires d’image de la France qu’on assassine qu’on va me rire au nez. Et ça, c’est pas bon pour notre économie. Et le chômage, on va encore dire que c’est ma faute. Et j’aurais l’air de quoi, moi ?

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