Le Scarabée
Masquer la pub

La pub pue

par ARNO*
mise en ligne : 17 octobre 1996
 

Cette semaine, c’est la semaine de la pub. L’occasion rêvée pour en dire du mal !

CETTE SEMAINE, C’EST LA SEMAINE DE LA PUB. Encore une célébration de cette monstruosité ! On apprécie à cette occasion la sympathique collaboration gratuite des médias : c’est fête, alors on invite des publicitaires (il faut lire l’interview de Maurice Lévy/Publicis dans le Libé d’aujourd’hui, nous expliquant comment lutter contre la crise ; même la Tribune n’aurait pas osé publier de telles conneries ultra-libérales), présente des publivores (généralement de jeunes adultes pas encore sortis de l’âge bête - et vu le niveau, pas prêts d’en sortir). Et bien sûr : pas l’ombre d’un publiphobe à l’horizon (faut pas tuer la poule...). Alors rappelons-le, les publiphobes sont largement aussi nombreux que les publivores (mon vieux voisin - 75 ans - a abandonné la lecture du Monde, pas parce que les caractères étaient trop petits pour sa vue déficiente, mais parce que de pleines pages étaient consacrées à la pub). Et surtout, côté manipulation mentale, la pub n’a rien à envier à la scientologie, et elle est aussi cancérigène que le tabagisme passif.

Pourtant personne ne croit la pub, personne n’achète les produits présentés... Erreur. La pub ne sert pas à vendre des produits, elle sert à vendre des modes de pensée et des modèles de vie.

  • Le mode de pensée de la pub, c’est le slogan. Le slogan, utilisant la culture immédiate (l’antithèse de la culture) et des symboles forts, assimile la conclusion à la réflexion, le fond à la forme. L’énoncé de l’hypothèse devient l’énoncé d’une vérité. La culture du slogan remplace le débat politique (la petite phrase), pollue l’art et la culture, anéantit toute réflexion. Le con se sent moins con, car il dispose d’une multitude de slogans pré-digérés (pré-chiés) pour pallier à son intelligence tronquée. Alors non, la vérité n’est pas ailleurs, tout ne va pas quand le bâtiment va, y’a pas bon Banania (il n’est pas minuit, docteur Schweitzer) et aucune voiture n’est à vivre (la place de droite, c’est celle du mort, pas celle du vivant).
  • La pub est cancérigène, elle fabrique de l’ulcère et du suicide. Car la pub ne vend pas un produit, elle vend des valeurs et des normes souvent obsolètes : la publicité est un fascisme. Vous en connaissez beaucoup, vous, des familles Kinder Surprise ? Des parents comme une pub (!) pour les thèses de Vichy (35 ans, papa amateur de bricolage et de jardinage, bel homme sympa avec ses gosses, maman au foyer, mignonne mais pas trop, en charge de l’éducation des mouflets) et des enfants comme une ode au docteur Mengele (un garçon, une fille, blonds comme les blés, sages commes des images). La norme de la pub, c’est une beauté pas trop agressive, un jeune couple avec deux enfants, des grand-parents attentionnés et vaguement branchés. L’homme ne perd pas ses cheveux, la femme enfante dans la joie (en récompense, elle a droit à un nouveau lave-linge), le vieux est sage et ses rides sont belles. Un véritable dépliant touristique pour le troisième Reich !

    Alors l’adolescente pas assez belle souffre, l’homme se ruine en Folten, les divorcés, les pas beaux, les pas riches, les pas cools, les pas responsables culpabilisent. La publicité fabrique des aigris, du mal-être, des suicidés, des cancers et des ulcères, des électeurs du Front National. Elle accentue l’exclusion des différences. La pub tue.

Au départ était la religion, vint la réclame ; en combinant l’utilisation de symboles de la première et les slogans de la seconde, on inventa la propagande. Avec le marketing et les progrès des sciences humaines (psychologie, linguistique...), on élabora la publicité, une des plus terribles dégénérescences de la pensée humaine. Et aujourd’hui on veut ériger la publicité la publicité en culture ? Pauvres nous...

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