Le Scarabée
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La vérité révélée

par ARNO*
mise en ligne : 21 août 1997
 

Le Pape contre les capotes, l’avortement... et l’information.

Ca n’a pas pu vous échapper : le Pape débarque à Paris cette semaine. C’est l’EVENEMENT NUMBER ONE de l’été. Pourtant moi, aux Gobelins, où je me suis installé stratégiquement pour surveiller les passants et faire copain-copain avec une serveuse tatouée, je n’ai rien remarqué. A part quelques scouts d’Europe au crâne rasé qui font peur aux skinheads, la ferveur religieuse du parigot moyen n’est pas franchement sensible. Et même les parents de ma future belle-soeur, pourtant très catholiques (ils viennent d’un pays où c’est encore à la mode), n’iront pas voir le Pape : payer pour assister à une messe, c’est pas leur truc.

Il y a mieux : l’an dernier, on annonçait plus d’un million de pélerins, puis beaucoup moins. Alors, comme pour le chômage, on a changé les règles de calcul : l’âge limite du « jeune » est monté à 35 ans. Malgré cela, le mois dernier, on n’attendait plus que 500 000 « jeunes », cette semaine 300 000. S’il pleut, il y aura plus de flics que de fidèles...

Bref, on frise le non-événement, un non-événement ayant pour unique vertu de montrer que les catholiques pratiquants sont devenus ultra-minoritaires en France, et parallèlement de plus en plus fanatiques : sans le Renouveau charismatique, l’Opus Dei, Communion et Libération, et le Chemin néo-catéchuménal, bref les plus sectaires des sectaires, le Pape n’aurait pu venir célébrer la mémoire du très réac professeur Lejeune et tenter de reconquérir ses parts de marché du marchandising spirituel.

Ce qui est beaucoup plus étonnant (voire carrément révoltant), c’est l’incroyable déploiement de propagande mené par nos médias. Du n’importe quoi !

Ca a commencé il y a deux ou trois mois par un article dans Libération sur Castelbajac et ses costumes pour la cérémonie (le genre d’article passionnant). L’article oubliait simplement de préciser qu ces costumes sont financés par Chargeur, le groupe propriétaire du même Libé. On avait comme un pressentiment : pour cette histoire de Pape en ballade, on ne sera pas informé dans les règles...

Deuxième phase : depuis un mois, les télés et les radios tiennent des chroniques quotidiennes sur les préparatifs. On a droit à tout (et même plus) : les bonnes soeurs qui fabriquent les hosties, les orfèvres qui fondent le ciboire, les plateaux repas, les sacs poubelles (s’il pleut), les trains spéciaux, les tarifs préférentiels de la RATP... et une multitude de petits sujets annexes excitants sur les paroisses sans curé (au passage, une expression à retenir : « un aumonier laïque » !), les alcools distillés dans les monastères, les ateliers de sculpture de saintes vierges... Indigestion fatale de commerce spirituel.

Et depuis une semaine, la grosse artillerie. 20 heures de direct sur les chaînes publiques, un sujet ahurissant sur La cinquième expliquant comment le Pape à vaincu (tout seul comme un grand) le communisme, converti Gorbatchev et pardonné à son assassin (à ce niveau d’infamie, il y a des cartes de journalistes à déchirer), François Foucart toutes les heures sur France Inter (« 5 millions de pots de yahourts distribués, il y a des chiffres qui donnent le vertige ! ») qui n’hésite pas à compter les policiers parmi les bénévoles. Ah si, une seule exception, un documentaire discrètement railleur sur Thérèse de Lisieux sur FR3 en seconde partie de soirée (comme disait Coluche, « Si Lourdes n’a pas marché, il te reste Lisieux pour pleurer »). Télérama, ce n’est même pas la peine d’en parler. Tous les jours, les propos indispensables du général Morillon, grand gourou de la guerre juste (faut vraiment être un trouffion pour croire qu’une guerre est juste, et que Jésus Christ bénit les chars Leclerc) et les délires du monseigneur Dubost (grand aumônier des armées, décidément c’est une parodie sabro-goupillonesque).

Aucune information n’est contrôlée, tout passe, en direct, à l’antenne, sans le moindre recul et sans que jamais l’analyse critique des journalistes ne s’exerce. On nous annonce l’oecuménisme de la manifestation, symbole de l’amour Tutsis-Hutus, que tout cela ne coûte rien à l’Etat, on nous en fait des tartines sur la fierté de ce publicitaire juif et de ce patron de presse protestant de participer à la diffusion du message papal, on évoque la mort naturelle de Jean-Paul Ier, le renouveau de la foi chez les jeunes Français... n’en jetez plus !

Rarement les journalistes n’auront accepté, en toute connaissance de cause, de faire aussi mal leur travail et de participer à une manipulation aussi grossière. Rarement le service public n’aura autant failli à sa mission.

Ah, il y a bien une excuse, d’après les représentants du service public : il n’y a pas d’autres évènements de cette ampleur au mois d’août. Non ? Ben tiens : un milliard d’Indiens célèbrent le cinquantenaire de leur Indépendance, l’un des évènements les plus beaux du XXe siècle par sa non-violence. Mais non, ce n’est pas un évènement : le sujet fut traité en quelques minutes, et je n’ai vu aucun sujet sur la non-violence, seulement sur les guerres entre l’Inde et le Pakistan (message subliminal : « voyez ce qui arrive quand on donne leur indépendance aux sauvages »). Seule la chaîne Arte sauve l’honneur, avec des films indiens tous les soirs. A minuit.

L’intelligence et la culture en fin de soirée, la manipulation, la propagande et le charlatanisme en prime time. Je me demande pourquoi on paie des journalistes : des curés feraient aussi bien.

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