Le Scarabée
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Le Che à la tête du CNPF !

par ARNO*
mise en ligne : 14 octobre 1997
 

Un conseil au prochain patron des patrons : la panoplie complète du petit Che Guevara de salon (bérêt étoilé, mitraillette en plastique et barbe postiche) est en vente en grande surface... ça pourra lui servir.

Depuis quelques semaines, on nous fait bouffer le Che Guevara par la racine... pour le trentième anniversaire de sa mort (petite précision : je n’étais pas né, inutile de me traiter de soixante-huitard attardé), on s’attendait à quelques plates évocations en fin de flash météo (« Demain, on fêtera les Mathilde, la naissance de Jacques Dugenoux et la mort d’Ernesto Guevara, le soleil se lèvera à 7 heures et 12 minutes) et tout au plus un deuil national sur Radio Libertaire. C’était mal connaître l’incroyable capacité du capitalisme à tout récupérer, tout recycler, même les valeurs qui lui sont le plus étrangères.

Déjà, quand les assurances et les banques ont utilisé « Imagine » de John Lennon pour leur pub (« Imagine there’s no country, just one mondial market... »), je me suis un peu énervé (c’est con, je voulais juste foutre le feu à une poubelle, et c’est le Crédit lyonnais tout entier qui a flambé).

L’autre jour, j’étais à Carrefour (dont les patrons font partie des plus grosses fortunes de France) et voilà qu’entre les pizzas surgelées et le PQ parfumé, j’entends « Hasta Siempre » en fond sonore. C’est pas possible ! J’ai dans la main une boîte de Gourmet 3 étoiles (l’équivalent de deux semaines de salaire d’un paysan bolivien, que mon chat engloutira en une journée), et ces cons me balancent une ode guévariste. Comme je n’aime pas culpabiliser, je me suis énervé : ils ne sont pas prêts de retrouver la roue arrière gauche de mon caddy (je vous l’ai déjà dit, je sais être mesquin).

Le même jour, je vais au Virgin Megastore (haut lieu de la lutte anti-sociale et du travail le dimanche) : dans le grand escalier, le stand vedette, spécial Che Guevara. Tout pour le fan guévariste : les bouquins Che Guevara, les vidéos Che Guevara, les livres Che Guevara (désolé, il n’y avait plus de blousons Che-vignon)... en face, l’autre stand vedette : le dernier album des Spice Girls. Je me suis encore énervé : tiens, je leur ai rangé l’album de Jean Ferrat dans le rayon techno-transe, ils ne sont pas prêts de remettre la main dessus !

Le lendemain matin, c’est sur France Inter ; entre Jean-Marc Sylvestre (carpette ultralibérale - « Jean Gandois est votre ami ») et François Fouccart (excité du Saint siège - « Jean-Paul II est votre ami »), ils nous passent eux aussi « Hasta Siempre ». La « fièvre latina » de l’été continue, mais désormais « Uno Dos Tres Maria » de Ricky Martin est remplacé par un chant révolutionnaire.

Le Che transformé en produit de grande consommation, il faut le voir pour le croire ! Bien entendu, le Che que nous vendent les commerciaux est très grand public : édulcoré et débarassé de tout relent idéologique. Si, sur France Inter, « les jours du siècle » ont tenté de répondre à la douloureuse question « Ernesto Guevara était-il un homme à femmes ? », on se garde bien de rappeler contre quoi et contre qui il se battait, et qui l’a fait assassiner. Ce n’est plus un combattant armé ni un révolutionnaire, c’est un « rebel rêveur au visage d’ange » ; comme Rimbaud n’est pas un poète, mais un « adolescent rêveur au visage d’ange » (dans le film « Rimbaud-Verlaine », Leonardo di Caprio, qui l’interprètait, ne déclamait pas plus de deux vers - en anglais). Pour les garçons, donc, un Che Guevara dépolitisé et beau gosse, rebel mais pas trop (passe ton bac d’abord), aussi passionnant que Ken et G.I. Joe ; pour les filles, le féminisme siliconné des Spice Girls. Ernesto Che Guevara est bien mort, et plutôt deux fois qu’une...

J’en étais là dans mes réflexions, lorsque j’appris la révolte des patrons français. Jean Gandois à la trappe, le CNPF et le Figaro se cherchent un nouveau chef : un « tueur » pour mener la « guerre » contre un « état à l’idéologie archaïque » (sic !). A force de nous vendre du Che à doses massives, les patrons auraient-ils succombé aux charmes de la lutte révolutionnaire ?

Camarade patron, nous sommes avec toi, continuons le combat... Saint Guevara(TM) t’accompagne dans ta lutte contre l’impérialisme étatique d’un oppresseur qui refuse le dialogue et impose ses diktats par la force ! Avec le CNPF, réinventons la lutte des classes !

(Qu’est-ce qu’on se marre.)

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