Le Scarabée
Masquer la pub

Le joueur de flûte

par ARNO*
mise en ligne : 28 juillet 1997
 

Un édifiant conte pour l’été.

Il était une fois, en bonne Terre de France, un très gros et très con bourgmestre. Sa bêtise le rendait sympathique aux yeux des notables de sa cité, qui pensaient pouvoir le manipuler contre quelques pièces d’or.

Un beau jour, une délégation de petits commerçants vint le trouver, et l’interpella en ces termes :

 Noble Boursouflé, des hordes de gueux envahissent nos trottoirs ; tant que vous n’aurez pas débarrassé nos rues de ces nocifs, nous refuserons d’alimenter la cassette occulte qui finance l’eau de votre piscine.

Fort surpris, le bourgmestre demanda :

 Mais ne sont-ce là quelques joyeux troubadours qui égaient nos allées de leurs douces mélopées ?

 Que nenni, Votre Impotence, ce ne sont que pue-la-sueur et nuisibles dont l’odeur gâte notre blé et la présence nuit au commerce. Chassez-les sur le champs, sinon vous devrez vous baigner dans la même eau croupie et radioactive que les péquenots !

Le très gros et très con bourgmestre avait, fort heureusement, entendu parler d’un joueur de flûte nommé Jamin’ Jean-Marie, qui parcourait le pays en promettant l’Ordre, la Foi et le Renouveau spermatique. Le gros crétin municipal décida donc de faire appel aux services de ce musicien, et se jura qu’il ne lui en coûterait aucun sou de sa précieuse cassette noire.

Ainsi le flûtiste arriva en ville. La nuit même il sortit son instrument de son étui et joua sa mélodie. Hypnotisés, les sans-logis le suivirent, emmenant avec eux leurs clébards et leurs cartons. Le joueur de flûte les entraîna hors de la cité, au-delà des monts, et les noya tous dans une rivière fort phosphatée.

Mais le lendemain, lorsqu’il se présenta à la mairie pour quérir son dû, il ne trouva que porte close et un petit mot à son attention adressée : « Le bourgmestre est parti déjeuner, revenez dans quelques siècles ». Blessé dans son orgueil national, il cria : « Maudit et ingrat cosmopolite, par mon oeil tu me le paieras ! ». Pendant ce temps-là, le très con bourgmestre trempait sa graisse dans sa piscine personnelle, tandis qu’une jeune personne fort experte lui prodiguait quelque savante turlutte.

Quelques jours plus tard, une nouvelle délégation de bourgeois lui rendit visite :

 Votre Crétinerie, nous sommes fichtrement mécontents : malgré nos recommandations, nos employés secrets et basanés se sont reproduits et, Seigneur Jésus Marie, que le fruit de leurs entrailles est mal élevé !

 Mais, répondit le bourgmestre, ne sont-ce là de futurs esclaves pour vos ateliers clandestins, et d’ici là de bienvenus consommateurs pour vos produits ? Et n’appréciez-vous pas quelques petits culs bronzés et prépubères pour vos agapes aussi nocturnes qu’illicites ?

 Que nenni, Insondable Flatulence, ces jeunes merdeux se croient des droits et refusent de travailler pour des arachides. De plus ils préfèrent les chaussons étrangers à nos locaux sabots. Quant à nos rencontres entre générations, les jeunes maures les refusent, au motif que nous craignons et que popotins puent le crottin. Et même ils nous conseillent quelques acrobaties avec nos propres mamans ! Chassez-les sur le champs, ou jamais nous ne paierons le mur de votre villa !

Le gros lard fit à nouveau appel à Jamin’ Jean-Marie. Il s’excusa pour le précédent impayé, qu’il attribua à l’incompétence d’une fonctionnaire surpayé, et lui promit force bourses d’or pour ce nouveau service.

La nuit même, le musicien joua de son instrument magique et hypnotisa tous les jeunes de moins de douze printemps. Il les conduisit hors de la ville, au-delà des monts, et les noya tous dans une mare d’hydrocarbures.

Le lendemain il se présenta à la mairie pour quérir son dû, et ne trouva que porte close. Rendu borgne par la fureur, il entreprit de se venger sans douceur. Il monta sur une estrade du marché et, délaissant la flûte, il se mit à jouer du pipeau. Dès les premières notes, les commerçants et les bourgeois de la cité furent charmés par sa mélodie ; puis les serfs quittèrent leurs tâches pour venir l’écouter. Jamin’ Jean-Marie les conduisit hors de la ville, dans une grotte à l’intérieur d’une montagne, où il vénèrèrent leur chef en lui sacrifiant des livres et célèbrent le renouveau spermatique dans une très pure consanguinité.

C’est ainsi que le très gros et très con bourgmestre s’était fait baiser profond : en voulant jouer au plus malin, il s’était fait prendre tous ses électeurs par le joueur de pipeau très facho.

Moralité. A facho, facho et demi...

Lire aussi :