Le Scarabée
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Le radeau de la Méduse

par ARNO*
mise en ligne : 3 décembre 1996
 

Les plus forts bouffent les plus faibles. Y’a pas à se plaindre, tant qu’on ne fait pas partie des plus faibles...

J’écoutais hier l’histoire du radeau de la Méduse.

Alors voilà, suite au naufrage de la Méduse, échouée sur un haut fond, 150 hommes sont embarqués à bord d’un radeau, lâchés à la dérive en pleine mer. La tempête survient en pleine nuit, noyant bon nombre d’entre eux. Au bout de quelques jours, la faim décime ceux qui restent. Et là, quelques uns soûlent les autres (ils avaient emporté des tonneaux de vin), puis les massacrent pour ensuite dévorer leurs restes. Lorsque le radeau est secouru, il n’y a plus à bord qu’une quinzaine d’hommes et des lambeaux de chair séchant au soleil... le fond de l’horreur est atteint : des hommes avaient tué des hommes pour les manger.

Et puis nous voilà, nous, d’un autre siècle, tout remplis des enseignements de l’histoire. Et ça recommence : la barque prend l’eau. Chahutés par une macro-économie aléatoire, dérivant sur un radeau mené par des politiciens qui naviguent à vue, nous survivons. Et parfois plutôt bien. D’ailleurs les bonnes vieilles méthodes fonctionnent toujours : nous enivrons nos plus faibles avec un SMIC moribond, un RMI par-ci, une petite aide aux camioneurs par là, et nous nous préparons à les achever à grands coups de hausse de la TVA, d’importations de produits fabriqués par des enfants squelettiques, de Crazy George et au besoin de charges de CRS.

Alors ça va : les cadavres s’amoncellent sur les trottoires de nos grandes villes, quelques lambeaux sèchent sur les bouches d’aération du métro, mais nous, ça va, merci, on survit... il y en a même qui s’engraissent gaiement. On ne sait pas bien à combien on finira, là-dessus, mais pour l’instant, ce sont les autres qu’on jette aux requins.

Et puis, comme les survivants du radeau de la Méduse, nous avons une excellente excuse : « Faut bien bouffer ! »

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