Le Scarabée
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Mort à mai 68 !

par ARNO*
mise en ligne : 31 mai 1998
Traduction : Death to May 68!
 

Mort aux vieux, mort aux cons, mort aux vieux cons !

En 68, le pouvoir était déjà aux mains des quinquagénaires. Ils possédaient et contrôlaient tous les lieux de l’autorité : le politique (à part De Gaulle, qu’avait déjà passé la date de péremption), l’économique et le médiatique. Pour justifier cette domination sur l’ensemble de la société (notamment sur la jeunesse), cette génération avait son propre mythe fondateur : le mythe gaulliste de la Résistance.

Ce mythe est central à la fin des années soixante :

  • il justifie l’autorité des anciens (qui ont tous fait - ben tiens ! - de la résistance...) ;
  • il donne des valeurs-alibi à une société dont la référence centrale est devenue l’argent et le consumérisme ;
  • il exclue de fait la jeunesse, née après la guerre.

La jeunesse en révolte contre la domination des quinquagénaires attaque donc en priorité ce mythe gaulliste (« Crève, Général ! »), ce à quoi les vieux répondent que, les jeunes n’ayant pas connu la guerre, ils ne peuvent pas savoir (« ah, là, là, tu aurais connu la guerre, tu ferais moins ton difficile »).

Il faudra ensuite plusieurs décennies pour solder le mythe gaulliste : lors du procès Papon, le RPR s’est encore inquiété que l’on s’attaque ainsi au Gaullisme (par Papon interposé). De toutes façons, on s’en tape, une génération a chassé l’autre ; l’important n’est pas que le mythe de la France unanimement résistante s’avère historiquement faux, en réalité il est devenu socialement obsolète (et inutile).

Aujourd’hui, re-bellotte, la génération qui a cinquante ans domine tous les aspects de la société. Elle fait la politique (tous les premiers ministres d’Europe ont 50 ans), elle possède les médias (le point commun entre tous les présentateurs des journaux télévisés, c’est l’âge), elle a le pouvoir économique (quel âge ont votre patron, votre propriétaire, votre banquier...?).

Pour justifier sa domination absolue sur la société, il faut également à cette génération un mythe fondateur. Inutile de chercher bien loin, ce mythe on nous l’a fait bouffer pendant tout ce mois de mai 98 : le mythe fondateur des dominants d’aujourd’hui, c’est mai 68.

« Ils » ont su changer la société en 68 ; il est donc naturel qu’ils prennent maintenant la direction politique du monde. « Ils » ont rejeté les valeurs bourgeoises en 68, on peut donc leur faire confiance pour nous concocter une économie à visage humain. « Ils » ont rejeté les médias de leurs parents, donc ils nous font de bons médias...

Les jeunes se voient opposer désormais un « Ah mais tu n’as pas connu comment c’était avant 68... ».

Voilà pourquoi cette commémoration de mai 68 m’est insupportable : c’est l’auto-glorification par la génération des dominants de leur propre génération. Les quinquagénaires ont déjà tous les pouvoirs, quel besoin ont-ils encore d’élever une statue à leur propre gloire ?

Mai 68 n’est qu’un mythe, que l’étude historique devra s’acharner à relativiser (ce que cette commémoration a, à tout prix, évité). Comme tous les Français n’ont pas été résistants, tous les Français n’ont pas fait mai 68. Au mieux quelques dizaines de milliers d’étudiants, enfants de l’élite bourgeoise parisienne.

Politiquement, mai 68 fut un échec monstrueux. La preuve : Chirac est président de la République.

Médiatiquement ça n’est pas plus brillant. Les médias lancés en 68 sont asservis à l’économie (plus que jamais auparavant), Michel Field cachetonne sur TF1 et il y a de la publicité dans le canard de Serge July.

Pour la conscience politique, idem. Le seul à ne pas avoir trahi son idéal, c’est Alain Madelin. Il est toujours fasciste.

La seule contribution de mai 68 fut de remplacer les valeurs morales rétrogrades de la bourgeoisie par les valeurs égoïstes et hédonistes du consumérisme. Une génération qui revendique son désir de liberté passé pour nous imposer le libéralisme sauvage.

Dernière utilité du mythe (et de sa commémoration lourdingue) : exclure la génération suivante. Ben non, « je ne peux pas savoir comment c’était, avant » ! Tous les reportages d’auto-célébration de mai 68 comportaient systématiquement ce volet dégueulasse, « et les jeunes d’aujourd’hui ? ». A chaque fois on nous a montré un ancien héros de la révolution, on rappelait ses rêves d’antan, ses actions héroïques, ses slogans... puis on le comparait à ses enfants. Des enfants qui, grosso modo, n’ont plus de conscience politique, ne savent plus se révolter, n’ont pas de rêves...

Ben oui, à la place de l’amour libre et de la révolte, nous on préfère le SIDA, le chômage et le néolibéralisme. Ah là là ma brave dame, on ne vaut pas nos parents !

Je reçois d’ailleurs régulièrement des courriers de ce genre : « Bravo, je suis heureux de constater que les idées de 68 ne sont pas mortes et qu’il y a encore des jeunes qui ont une conscience politique »... si, elles sont mortes, les idées de 68, elles sont mortes exactement le jour où tu es devenu un vieux con donneur de leçons.

Mais ces reportages contenaient en eux-mêmes leur propre contradiction, apportant une petite vengeance bienvenue ; tous ces vieux vétérans de mai 68 offraient un spectacle pitoyable et hideux : ils étaient devenus, en trente ans, les tristes symboles de la normalité.

Normaux et vieux.

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