Le Scarabée
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On se krashe dans le bonheur

par ARNO*
mise en ligne : 5 novembre 1997
 

Une baisse d’un demi-point de la Bourse, c’est une sévère sanction des marchés. Un krash de dix points, ce n’est pas grave...

Avant de commencer, il faut que je vous prévienne : il vient de me tomber dessus un truc pas agréable du tout, plutôt grave, et qui ne va pas manquer d’influer sur les productions du Scarabée. Je tiens donc ici à vous présenter mes excuses pour la baisse de qualité que cela va entraîner, pour la gêne que cela provoquera. Bon, pour faire vite, cet évènement grave qui me touche dessus, à l’improviste, c’est pas joli-joli : je suis soudainement d’humeur joviale. Je suis réjoui, béat, content. D’habitude je me contente d’être heureux, pas plus. Mais là, c’est pas croyable, je suis béat... béat à s’en cacher la tête dans un sac, tellement j’en ai honte. Et quand je suis béat, mes éditos sont mauvais. Des éditos d’imbécile heureux.

Je fais mon possible pour que ça ne dure pas (j’entame une cure intensive de « Figaro-Magazine », ça calme)... en attendant, merci de votre patience et votre compréhension.


Alors, elle s’est vraiment cassé la gueule, la bourse, ou bien a-t-elle déjà repris sa côte d’avant le krash ? Vous avez remarqué, on est informé régulièrement sur les baisses et les reprises au jour le jour, mais il est pratiquement impossible de trouver un tableau d’ensemble. En tout, on en est à une catastrophe de 20 %, à une chute de 10 %, à une baisse de 5 %, ou à un non-évènement de 0 % ?

Toujours est-il qu’on n’en parle déjà plus. Oublié le « lundi noir » qui nous effrayait tant, on n’évoque plus que des « remous ». Ce n’était pas un « krash », seulement un « réajustement ». Sommes-nous bêtes, on a failli avoir peur !

Voyons maintenant nos politiques : à longueur d’année, ils abandonnent toute prétention politique, au motif qu’« il ne faut pas perdre la confiance des marchés ». Du coup, la moindre petite mesure de rien du tout (genre hausse du SMIC - au fait : hausse ou réajustement ?) est observée systématiquement sous l’angle de la bourse : une petite baisse d’un demi-point à Paris, et illico on hurle : « Les marchés sanctionnent la politique irresponsable du gouvernement ! ». Ainsi parla Zarathoustra... un froncement de sourcil divin, et les décisions des démocraties sont invalidées par les marchés.

Alors une chute de 15 ou 20 pourcents, c’est la foudre divine qui s’abat sur le petit peuple des humains : l’homme si prétentieux se contruit une tour de Babel boursière, et lorsque celle-ci atteint les cieux, la divine colère éclate. Ou n’est-ce pas plutôt le peuple des grenouilles vénérant le héron qui les dévorera ? (Oui, je sais, je me mélange un peu les images, mais c’est pour faire cultivé.)

On devrait culpabiliser, non ? On a dû faire un truc vraiment affreux, pour être à ce point « sanctionné par les marchés ». Quand on a voté à gauche, on n’a pas réussi à faire baisser les cours de plus de 1 ou 2 pourcents. Alors 15 %, je vous laisse imaginer l’ampleur de notre faute collective...

Pourtant on n’a rien fait. Aucune décision politique, rien, pas ça, que dalle. Éa s’est effondré tout seul. Et notre Strauss-Kahn vient nous expliquer que tout cela n’est pas grave... Une baisse de quelques dizièmes de pourcent, ça ruine nos efforts de plusieurs années, ça hypothèque notre avenir, ça condamne la reprise ; un krash, c’est un non-évènement. Cherchez l’erreur.

Je crois que c’est clair : le prochain politique qui excuse son impuissance à cause d’une nécessaire confiance des marchés, il faut l’étripper sur la place publique, et retransmettre l’évènement en prime-time sur TF1. Pour l’exemple.

Je suis en train de terminer mon édito ; devinez ce que j’entends pile maintenant à la radio ? Une version remix euro-dance de Hasta Siempre ! Éa y est, je ne suis plus du tout jovial...

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