Le Scarabée
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SAMU social ? Tartuferie sociale, oui... (2)

par ARNO*
mise en ligne : 18 janvier 1997
 

L’édito précédent n’a pas plu ? Le Scarabée en remet un couche...

Pour une fois, je reviens sur un édito. En effet, mon précédent papier sur le SAMU social a fait un bide : de toute évidence, l’article a été fraîchement reçu. Sur un sujet aussi sensible, j’ai si mal écrit et si lapidairement que je n’ai reçu qu’un silence gêné.

Que voulait dire cet édito ? Simplement que le SAMU social n’est pas la panacée de la lutte anti-exclusion, mais bien un alibi que se donnent un gouvernement et une société qui n’ont rien fait, jusque là, pour lutter contre cette exclusion.

De plus, les quelques expressions morbides utilisées (le pic à glace) voulaient souligner l’aspect inadmissible, intolérable et odieux de voir des individus mourrir de froid chaque nuit dans notre pays. Ce ne sont pas des statistiques que l’on annonce chaque matin, mais bien des cadavres qui jongent les trottoires de nos grandes villes.

Je vais donc reprendre ma démonstration, en partant d’un peu plus loin, et en tâchant d’être plus clair.

Dans toute société, le crime social s’est toujours pratiqué, mais pour que ce crime soit accepté, il faut lui donner un alibi : sans une « bonne raison », le citoyen (et a fortiori la Nation toute entière) ne tolère pas l’intolérable ; donnez-lui un motif qui lui semble tenir la route, et vous obtenez des résultats étonnants. Ainsi une sale guerre est toujours motivée par des raisons « justes », un génocide se donne des motifs « justes »... l’exclusion, qu’elle soit économique ou raciste, procède de la même logique.

Alors voilà la France, un beau et grand pays, plutôt riche, et dont les citoyens sont largement attachés aux valeurs de la justice. D’un autre côté, c’est la stagnation économique : pour que la majorité continue d’accroître (au pire maintienne) son pouvoir d’achat, il faut taper sur les plus faibles ; Robin des Bois à l’envers, « prendre aux pauvres pour donner aux riches ». Le processus de l’exclusion économique est en marche depuis un bon bout de temps : on réduit les droits des chômeurs, on encourage le surendettement qui permet aux banques de s’engraisser en jetant à la rue les individus à la moindre défaillance, on supprime les derniers droits au chômage et au RMI à la première occasion, on arnaque les plus pauvres à grands coups de Crazy George, on refuse l’accès aux soins aux « mauvais payeurs », on éjecte des villes les SDF qui nuisent au tourisme, etc. (la liste est interminable). Dans tous les cas, absolument rien - je répète : absolument rien - n’est venu s’opposer au mouvement. Pas une loi, pas un arrêté, rien pour protéger les plus faibles, que le système a décidé de saigner à blanc pour assurer la survie de ses privilèges.

Mais je l’ai dit plus haut, ces méthodes ne sont pas acceptables (bon sang, on a encore le droit de vote, dans ce pays !) sans un bon alibi. Alors pour chaque acte de promotion de l’exclusion (!), on nous a donné une bonne raison. Pour la suppresion à grande échelle des derniers droits, Juppé a mené une grande campagne médiatique dénonçant les fraudeurs (il s’est bien regardé ?) ; Crazy George, c’est pour permettre aux plus pauvres de consommer. Et puis, régulièrement, on nous présente nos exclus comme violents (« ne venez plus en ville ! »), irresponsables (« c’est pas notre faute, si vous êtes surendettés ») ; on nous explique froidement qu’ils se sont exclus eux-même.

Alors ça passe plutôt bien, on s’habitue à ces fantômes urbains, deshumanisés, sans logements, sans droits, sans travail, sans citoyenneté. On accepte, parce qu’on nous a donné de bons alibis.

Mais arrive l’hiver. Ce ne sont plus des fantômes, ce sont des cadavres en puissance, bien physiques, que nous croisons. Le SDF que nous ne regardions plus, nous le voyons soudain comme un individu qui ne passera pas la nuit. Cette fois-ci, on va devoir se donner un alibi en béton : le SAMU social. La société dépense des sommes folles pour sauver la vie des SDF, l’honneur est sauf ! L’Etat s’occupe du problème, je peux penser à autre chose. Loin d’une fierté nationale, le SAMU social n’est alors qu’un pis-aller.

Mais il y a plus sournois : pourquoi se trouver une excuse, quand on peut carrément se donner le beau rôle ? Pourquoi compenser le sentiment de culpabilité, quand on peut carrément le supprimer ? C’est chose faite : à force de leur avoir tapé dessus, de les rejetter violemment de partout, de les avoir saigné aux quatre veines, certains SDF refusent les services du SAMU social. Alors quelques députés, qui décidément ne manquent pas d’air, se demandent : « Faut-il forcer les clodos à monter dans le camions ? » L’alibi n’est même plus un alibi, car nous avons réussi à rejeter la responsabilité sur les exclus : « Voyez, ils refusent la main généreuse que nous leur tendons ! ».

Conclusion : les gens qui travaillent au SAMU social méritent le respect, car leur tâche est ingrate, mais le principe même de SAMU social est condamnable : que nos ministres cessent de parader en nous présentant le SAMU social comme une réussite, une fierté, un symbole de la solidarité nationale, car eux n’ont jamais rien fait contre l’exclusion. Des Tartuffes.

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