Le Scarabée
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Vérité révélée contre information vérifiée (2)

par ARNO*
mise en ligne : 26 août 1997
 

Laïcité et oecuménisme à la sauce romaine.

D’accord, mea culpa, mea culpa (et là je me frappe le portefeuille en signe d’humilité) : la venue du pape à Paris n’a pas été le non-événement rassemblant « plus de flics que de fidèles » que j’avais prévu (j’ai eu le tort de croire le monseigneur Dubost). Malgré ma mauvaise foi évidente, je dois reconnaître qu’un million de fidèles à la messe, ça fait beaucoup. Plus précisément : un million de places à 100 francs la place, ça vous fait dans les 100 millions de recette. (Aux dernières nouvelles, c’est plutôt 95 francs par 200 000 entrées payantes, ce qui ne fait plus que 19 millions de francs.)

Cela dit, je m’accroche à mon propos précédent : le véritable événement fut la compromission aveugle des médias avec la propagande catholique. D’où le titre de l’édito : « la vérité révélée », qui a cette semaine laminé « l’information vérifiée ».

La preuve la plus évidente du renoncement journalistique et de la manipulation, c’est bien sûr la pape sur la tombe du professeur Lejeune. Aucune image, un village bouclé (proclamation de l’état de saint-siège ?)... le lobby catholique obtient 20 heures de direct sur les chaînes publiques, mais là, interdiction formelle de filmer ou de prendre des photos : une telle entrave à la liberté de l’information, ça doit être ça, la « modernité » du message papal.

On a encore relevé un nombre ahurissant de contre-vérités... vous le croyez si vous voulez, mais j’ai tout suivi à la télé - et la collection de conneries psalmodiées par Di Falco et les journalistes aux ordres m’ont mis dans un état proche de l’apoplexie.

J’ai noté par exemple l’utilisation incessante du terme « races » : « toutes les races du monde... », « un rassemblement multi-racial... » Attention, que diable ! Même sans jouer la fine bouche politiquement correcte, quand on prétend être une église jeune, on fait attention... D’abord, la notion de race humaine n’est pas seulement démentie par la génétique moderne (n’est-ce pas, professeur Lejeune ?), mais par le dogme judéo-chrétien depuis des millénaires : tous les hommes sont issus d’un unique couple d’êtres humains, créés à l’image de Dieu (et que je sache, leur progéniture ne s’est jamais croisée avec de quelconques grands singes, dérivant ainsi vers des « races » différentes). Question subsidiaire : de quelle race était le Christ ? Et surtout, cette notion de race a marqué l’histoire de l’église : elle a provoqué et justifié de nombreuses dérives passées... contre ces fameuses « races » alors dépourvues d’âme. Ce n’est pas la peine de nous bassiner avec cette « quête de sens » des jeunes pèlerins quand on ne connaît pas le sens des mots !

Un autre mot dont les JMJ ont visiblement tenté de dénaturer le sens, c’est la laïcité. On était prévenus, le monseigneur Dubost avait annoncé qu’il fallait trouver une nouvelle voie à la laïcité française. D’où des expressions étonnantes, telles « un aumônier laïque ». Mais c’est surtout à l’occasion de la béatification de Frédéric Ozanam (Ozanam au plus haut des cieux ?) que tous les médias sont tombés dans le panneau : « premier saint français laïque » résumé systématiquement en « laïque catholique ». C’est un nouveau modèle pour la laïcité républicaine, ça ? Des laïques catholiques, des laïques juifs, des laïques musulmans... et moi je suis un laïque athé ? Attention, ici on joue volontairement sur les deux sens du terme « laïque » : (1) qui n’appartient pas au clergé, (2) qui ne se mêle pas des questions religieuses. Le sens commun, qui sert de base à l’esprit républicain moderne, c’est le second. On tente ici visiblement d’introduire un glissement de sens, justifiant ensuite la remise en cause du devoir de non-intervention de l’Etat et de ses représentants dans les problèmes religieux. Et ainsi de voir (incroyable mais vrai !) un baptisé et son « parrain » en uniforme de la marine française témoigner de leur foi publiquement.

Notons surtout l’énorme mensonge : le prétendu oecuménisme de la manifestation. On nous donne pour preuves le « geste » vers les protestants, la rencontre avec notre premier ministre protestant (vous avez remarqué, aucune image n’a réussi à le montrer souriant), on insiste sur la longue discussion papale avec les popes orthodoxes, et sur les mots chaleureux envers les représentants juifs. Or tout cela n’est q’un oecuménisme de façade. Toutes les églises râlent, régulièrement, contre la prétendue ouverture du pape, qui masque mal l’expansionnisme catholique. Côté protestants, on regrette que le pape n’ait jamais accepté les moindres accords ; sur le terrain (africain en particulier), missionnaires protestants et catholiques se livrent une lutte sans merci pour la conquête et la défense des parts de marché. Côté juifs, malgré une amélioration significative du discours officiel des catholiques, on rappelera les propos antisémites de l’« ami du pape » Lech Walesa ou l’affaire du carmel d’Auschwitz. Quand aux rapports avec les orthodoxes, ils sont rien moins que guerriers : voyez la récente offensive législative des orthodoxes russes pour obtenir le monopole de la foi en Russie, et reléguer le catholicisme au rang de secte étrangère.

Enfin, bravo à Jean-Paul II de défendre les pauvres contre les dérives du libéralisme, dans une église romaine toujours régulièrement éclaboussée par ses liens avec la mafia (monseigneur Cassisa récemment), avec des loges maçonniques et des organisations d’extrême-droite, et par les imbroglios bancaires liés à son immense fortune. La prochaine fois, faudra penser à enlever le sigle Mercedes et les enjoliveurs dorés de la papamobile...

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