Cette semaine, c’était le quatorzième anniversaire du Scarabée — le présent site —, lancé le 10 février 1996. J’avais 25 ans et ça s’appelait un « webzine ». Aujourd’hui, je suis un quasi-quadra et ça s’appelle un « blog ». Le site n’était plus en ligne depuis quelques temps (je n’ai plus le nom de domaine d’origine), et les copains me tannaient pour que je relance le site ; du coup, avec l’anniversaire pour me motiver, j’ai retrouvé les archives des articles, récupéré les images que j’avais perdues sur WayBack Machine, fabriqué une nouvelle interface graphique, et j’en profite donc pour remettre en ligne ce vieux bazar.
Il faut dire que, par ailleurs, j’ai été piqué au vif par un article de Narvic intitulé « L’avenir radieux de l’internet ne se passe pas du tout comme prévu ». Bien que je ne connaisse pas personnellement Narvic, j’ai eu le sentiment que cet article parlait des rêves d’internet de ma propre génération.
Dès l’introduction de son texte, il écrit :
Ce Cyberespace de liberté et de créativité, qui rêvait même de son indépendance, se montre plutôt partagé entre une salle de jeux pour adolescents immatures et un vaste supermarché, où la culture nÉ-arrive même pas à se vendre. Le tout placé sous surveillance. Même internet comme espace planétaire ouvert aux échanges, culturels comme marchands, est aujourdÉ-hui menacé de balkanisation.
L’actualité et l’imminence de la menace contenus dans cette phrase m’ont fait sourire. Je vais passer pour un vieux con, mais voici ce que nous écrivions, avec le minirézo, dans le Manifeste du Web indépendant publié en février 1997 (il y a donc treize ans) :
Pourtant le Web indépendant et contributif est menacé ; menacé par la fuite en avant technologique qui rend la création de sites de plus en plus complexe et chère, par lÉ-écrasante puissance publicitaire du Web marchand, et bientôt par les accès dissymétriques, les Network Computers, les réseaux privés, le broadcasting, destinés à cantonner le citoyen au seul rôle de consommateur.
Narvic semble identifier comme menaces actuelles l’arrivée de l’iPad (« pierre tombale du Web 2.0 »), l’aspect « supermarché » du village mondial et l’immaturité des ados « nés avec l’internet ».
Massification, consumérisme et marchandisation, asymétrie : c’est ce que nous craignions en 1997, et c’est en gros ce qu’annonce encore Narvic aujourd’hui.
L’iPad comme « pierre tombale du Web 2.0 », c’est un point peu clair : le Web 2.0 en tant que « user generated content » marchandisé par des startups, ça n’a jamais fait partie de l’« avenir radieux de l’internet » que nous imaginions (Narvic non plus ne le considère pas comme tel). De ce fait, si le Web 2.0 disparaît, dans la logique qu’il expose, je ne comprends pas bien où est le mal.
Rappelons l’aspect primordial des rêves d’avenir « radieux » de l’internet de notre génération : c’est l’accès individuel à l’expression publique. Comme je le répétais en décembre 2000, dans un texte intitulé « Le Web indépendant joue dans la cour des grands », cette possibilité pour les individus d’exercer réellement et à grande échelle leur liberté d’expression publique est la réelle innovation apportée par le Web et l’internet.
C’est ce qui a marqué notre génération, et ce qui nous a poussés à militer avec le minirézo.
Une des craintes portait sur les changements technologiques qui menaçaient l’exercice de cette liberté tout juste acquise. Nous disions « network computer », l’iPad semble aujourd’hui la première réelle application de masse de ce concept. Mais entretemps, les ordinateurs ont déjà bien changé, les connexions sont (définitivement ?) asymétriques (on reçoit beaucoup plus vite qu’on émet), les djeunes communiquent depuis des années par SMS, y compris pour publier sur le Web (cela requiert une dextérité dont je suis bien incapable), les ordinateurs ne sont pas plus ouverts qu’avant (c’est désormais acheté clé-en-main au supermarché pour quelques centaines d’euros), etc.
L’idée que le changement de nature technique de l’outil de consultation/publication va faire disparaître le Web que nous aimions est légitime, mais j’ai du mal, après tant d’année, à céder à cette crainte. Cela fait des années qu’il existe des clients légers et passifs, ils n’ont pas enterré « notre » vieux Web à papa. On peut depuis longtemps surfer passivement sur le Web avec un petit terminal branché sur un téléviseur ; on peut le faire avec une console de jeux ; et ces outils peu chers, certains très répandus, n’ont pas fait disparaître la demande pour les ordinateurs « à papa » (disons, avec clavier et possibilité d’envoyer de l’information).
Un des aspects très perturbants de l’évolution de cette expression publique par les individus, c’est que c’est devenu le motif central de la marchandisation du « Web 2.0 », sous le terme de user generated content (contenu généré par les usagers).
Peu avant 2000, cette marchandisation des supports d’expression s’est accompagnée de la disparition des rares (mais tellement essentielles à l’époque) expériences d’hébergement gratuits et sans publicité de nos sites. Le développement d’offres de systèmes de publication clé-en-main par les plus grosses startups de l’époque s’est déroulé parallèlement à la disparition des hébergeurs gratuits (avec, pour Altern en particulier, un véritable motif libertaire). Cette évolution a donc naturellement été perçue comme un drame.
Cependant, il y a un paradoxe intéressant dans cette marchandisation du user generated content via le Web 2.0 : la marchandisation s’est faite autour du contenu. Le contenu (blog, photos, musique...) lui-même n’est pas devenu marchand pour autant à cause de cette situation. Je peux utiliser un système livré par une entreprise marchande pour m’exprimer en ligne, cette entreprise peut gagner de l’argent grâce à mon expression, mais je ne pourrai généralement pas espérer marchandiser ce contenu (autrement que de manière marginale). En général, la nature même de mon expression n’est donc pas directement modifiée par le fait qu’elle se déroule sur un support marchand.
Il y a bien sûr des inconvénients liés à cette situation, mais le fait que mon expression soit considérée par ceux qui me fournissent le service comme du user generated content susceptible d’être marchandisé ne change pas, fondamentalement, mon propre rapport à cette expression.
De fait, la marchandisation du user generated content a déjà eu lieu depuis belle lurette et elle n’a pas tué l’expression publique des individus. Cette marchandisation est fondamentalement injuste, puisque les « auteurs » sont les seuls qui n’en profitent pas. Le paradoxe est là : c’est justement cette injustice qui fait que, les individus ne profitant pas de cette marchandisation, la nature de leur expression n’a pas été dénaturée par elle.
Marchandisation qui, d’ailleurs, n’est jamais parvenue à organiser la rareté du produit : l’expression d’un individu ne se fait pas au détriment de l’expression de l’autre. Cette caractéristique des médias traditionnels (l’espace est réduit et cher, les fréquences sont en nombre limité, etc.) ne se retrouve toujours pas sur le Web, malgré le processus de marchandisation des supports d’expression. Expressions qui ne sont donc pas soumises au tri et au filtrage préalable des contenus ni à leur mise en concurrence.
L’offre marchande s’est par ailleurs aussi développée du côté de l’hébergement payant. Je peux difficilement trouver aujourd’hui un hébergement complet (j’installe mes propres fichiers et mon propre système de publication) gratuit, comme je pouvais le faire sur Mygale ou Altern. Mais je peux trouver un hébergement très professionnel pour, disons, 10 euros par mois ou une machine dédiée pour 40 euros par mois ; ce que me coûtaient mon abonnement internet et mes communications téléphoniques à l’époque était bien supérieur. Certes, j’adorerais un véritable service public gratuit favorisant à l’extrême mes possibilité d’exercer ma liberté d’expression publique ; j’aurais adoré que l’Université développe une véritable offre de qualité professionnelle au service des citoyens, par exemple en soutenant Mygale. Mais en revanche, on ne peut pas prétendre qu’il est plus cher ou difficile de monter un site capable d’accueillir des dizaines de milliers de visiteurs aujourd’hui qu’à l’époque. Même payer pour une machine dédiée est incomparablement moins cher que d’éditer sa propre feuille de chou sur papier.
Un aspect qui devrait aussi être interrogé est la chute de la première bulle internet, aux alentours de 2000. La marchandisation du Web était déjà à l’époque quasiment complète, et ces marchands ont quasiment tous disparu en l’espace de quelques mois. Pour autant, l’expression publique en ligne, elle, n’a pas disparu, bien au contraire. Le Web que nous avions connu auparavant n’était plus le « sujet », déjà en phase finale de ringardisation dans les médias et dans les discours politiques, la massification du Web pouvait difficilement prétendre se baser sur le besoin du grand public à accéder à ce « vieux » Web. Et pourtant.
Une autre crainte, qui n’est pas nouvelle, est liée à l’association de la massification de l’accès à l’internet et de la marchandisation, qui devait provoquer une transformation fort désagréable : le consumérisme pur et simple des usagers.
J’ai déjà abordé cette question dans un texte d’uZine, « Le Web indépendant joue dans le cour des grands » en décembre 2000 : on dénombrait alors environ 3 millions d’internautes « assidus », et... 1,5 millions de pages personnelles.
Alors que seul le web marchand faisait l’actualité :
On est donc confronté à un phénomène énorme, un comportement que lÉ-on ne peut occulter. Le citoyen, sur lÉ-internet, nÉ-est pas un consommateur passif : il utilise massivement ce média pour accéder à lÉ-expression publique. Jamais lÉ-expression publique des citoyens nÉ-a été aussi massive.
Et ces sites étaient visités. On prétendait déjà à l’époque que les sites non marchands n’étaient, au final, jamais visités que par leur propre auteur (et leur famille). Cependant :
Un webzine tendance socio-politico-culturel (le genre chiant avec des articles trop longs, rien que du texte comme on en fait avec les copains - et on nÉ-est pas les seuls), cÉ-est déjà quelques centaines de visiteurs par jour. Le Scarabée, Périphéries, lÉ-Ornitho, cÉ-est entre 200 et 600 visites par jour (6000 à 20000 par mois) - je ne cite que ceux-là, parce que je connais les chiffres. Quelques exceptions, telles Le Menteur, réalisant même entre 1000 et 2000 visites par jour. Et encore, rappelons quÉ-il sÉ-agit de la face visible dÉ-un phénomène qui se prolonge par mail : Le Menteur diffuse ses chroniques à plus de 6000 abonnés à sa liste de diffusion.
Un site plus fourni aux mises à jour plus régulières, mais sur des sujets relativement austères, façon uZine, Kitetoa, Vakooler, comptez entre 1000 et 2000 visites par jour (30000 à 60000 par mois).
Avec en comparaison quelques grandes marques :
Le site dÉ-une grande entreprise connue, cÉ-est quelques milliers par jour. Le Crédit Lyonnais fait un poil plus de 2000 sessions par jour. Le voyagiste Club Med (pourtant lÉ-un des thèmes incontournables de lÉ-internet marchand) fait dans les 6000 sessions par jour. Evian approche les 1200 sessions journalières. En clair, les marques très connues réalisent des chiffres peu fréquents dans le Web indé, mais on reste dans des proportions tout à fait raisonnables ; si lÉ-on compare la notoriété de ces entreprises à celles des sites indépendants, le rapport du nombre dÉ-entrées nÉ-a rien de déshonorant (enfin, si, mais pas pour nous...).
[...]
Au rayon média, un site énorme (et cher) tel que O1net.net tourne à environ 13000 visites par jour. Pour 140 millions de francs dÉ-investissement, ça fait cher le lecteur. 18h.com, « le quotidien de lÉ-Expansion », explose le compteur à 2050 visites par jour. Marianne massacre péniblement ses 1100 visites par jour. Europe 2, pas mal : 6000 visiteurs chaque jour.
Pour obtenir des chiffres d’ensemble, je reprenais les visites des hébergeurs de sites de particuliers :
Des monstres sacrés tels que le Monde et Libération jouent, effectivement, dans une autre catégorie (avec des archives phénoménales) : 70 000 visites pour Le Monde, 62000 pour Libé. NÉ-empêche : un « petit » hébergeur de sites de particuliers comme Le Village fait ses honorables 47 000 visites quotidiennes, un autre hébergeur indépendant comme Respublica tourne à 205 000 visites (à comparer aux 145 000 visiteurs passionnés par le site de TF1 - budget dÉ-environ 100 millions de francs pour lÉ-année 2000).
Le rapport ne me semble pas avoir beaucoup changé depuis.
Le nombre de blogs ne cesse d’« exploser ». Leur trafic également. En avril 2009, Le journal du Net y consacrait un article édifiant : l’article donne des chiffres sur le nombre de blogs, mais aussi sur leur trafic.
Un article du même site donnait en septembre 2009 la liste des 30 premiers groupes français sur le Web. Là encore on trouve les groupes proposant des plateformes basées sur le user generated content parmi les tout premiers.
En même temps, Narvic s’inquiète légitimement :
Et que le monde des médias en vienne à tenter un hold-up sur internet (novövision), instituant une sorte de protectionnisme corporatiste de lÉ-information sur le net, à grand renfort de statut particulier et de subventions publiques, espérant ainsi sÉ-arroger la légitimité de faire seul de lÉ-information sérieuse sur internet. Même sÉ-il ne sait pas encore comment financer son activité !
Mais ce corporatisme a-t-il la moindre efficacité ? La « mise à jour technologique du site Internet » du quotidien Le Monde s’est faite en 2004 avec 1,361 millions d’euros de subventions publiques, représentant 40% du total. Ce qui fait 3,4 millions d’euros pour une « mise à jour ».
Comme en 2000, cela fait cher le lecteur. Il est normal qu’on s’indigne de telles subventions publiques et trouver qu’il y a là une injustice fondamentale (pour m’informer, je n’utilise qu’à la marge les sites des grands médias ainsi subventionnés) ; mais une telle inefficacité est plutôt un argument positif pour la survie de cet « autre Web » qui se construit bénévolement à une vitesse phénoménale.
Reste le point de l’immaturité des internautes, avec cette description de Narvic :
Et de fait, les usages les plus populaires du Web, ce sont les réseaux sociaux entre amis, comme Facebook (bien plus que Twitter, qui est un truc de vieux), les jeux en ligne (World of Warcraft), le partage de photos dÉ-amis - et de photos de ses fesses - (et aussi de photos de chats), lÉ-échange de vidéos rigolotes ou spectaculaires - notamment des vidéos de chats - (repiquées un peu partout), et le téléchargement de musique et de films de cinémaÉ� Bref, une vaste salle de jeux, un pur espace de loisir et de socialisation adolescente.
Je ne partage pas cette conclusion (et je ne vois pas en quoi l’aspect « socialisation adolescente » aurait quoi que ce soit de négatif), notamment pour les raisons précédentes.
Personne n’a jamais cru que, de manière miraculeuse, le simple fait d’être né avec la possibilité de s’exprimer en ligne (une « génération née avec l’internet ») ferait que le consumérisme du monde physique disparaîtrait dans le monde virtuel.
Narvic écrit :
Et cette jeunesse, que Jean-Noël Lafargue qualifie de manière très intéressante de « génération post-micro » (entendez « micro-ordinateur »), ne semble guère se préoccuper des utopies dÉ-internet qui avaient pu en occuper quelque uns dans les générations précédentes
Mais qui étions-nous, dans ces « générations précédentes » ? Des geeks ou des neurds dotés d’une culture quasiment séparée (la culture geek s’est, elle aussi, massifiée et marchandisée), les trois neuneus qui avaient des ordinateurs, qui détestaient la musique qu’écoutaient leurs copains, qui méprisaient le cinéma grand public, et que le cinéma stigmatisait dans des séries de films sur les étudiants « pas populaires » sur le thème « la revanche des geeks ».
Nous n’étions pas plus nombreux, proportionnellement, à savoir utiliser Quark XPress que dans la génération d’aujourd’hui. On recopiait des lignes de code en hexadécimal des magazines spécialisés, on se téléphonait pendant des heures la cartographie des niveaux d’Ultima III, on essayait le Forth et autres langages exotiques, on programmait nos calculatrices, chaque week-end on faisait le grille-pain pour recopier les logiciels piratés par des hackers allemands, on s’émerveillait devant leurs démos, on commentait la taille des sprites que nos ordinateurs respectifs étaient capables d’afficher, on adorait les films d’horreur et les jeux de rôle (quatre-quarts et Coca pour la nuit !). Et nous étions trois ou quatre par classe de trente.
Comme Jean-Noël Lafargue, je peux constater que mes étudiants d’aujourd’hui ne sont pas plus geeks et bidouilleurs qu’à l’époque. Mais à l’époque, nous n’étions que trois tondus et un pelé. Comme Jean-Noël Lafargue, je peux évidemment constater que les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas devenus les géniaux hackers de Wargame et Terminator 2 ; mais je ne peux pas non plus en conclure qu’ils sont moins compétents et moins intéressés, en proportion, que les jeunes de notre génération.
Non, le djeune n’est pas qu’un blaireau consumériste :
48% des blogueurs européens sont âgés de 18 et 24 ans, contre 73 % en Asie.
Par ailleurs, il semble évident que l’accès à l’expression publique a été un choc pour notre génération et que cela nous a poussé à militer sur ce sujet, pour la simple raison que nous n’avions pas accès à cette liberté auparavant. La génération actuelle est née avec (ou « dans ») cette liberté. Pourquoi militeraient-ils pour une liberté qu’ils ont déjà (et donc exercent sans avoir le besoin de la conscientiser) ?
Maintenant, quoi ? Une majorité (supposée) des gens et des jeunes qui accèdent au Web le font de manière passive. (J’écris « supposée » entre guillemets, parce que le fait que 20% des usagers produisent 80% du volume — classiquement — ne signifie pas que les 80% qui restent ne fassent strictement rien : ils font moins, mais suffisamment pour générer tout de même les 20% restants du contenu. Et cela ne présume pas non plus de la qualité de ce qu’ils produisent par rapport aux excités qui produisent beaucoup.) Même dans le pire des cas, la situation est la suivante :
— avant le milieu des années 90, environ zéro pourcent de la population avait accès à l’expression publique en dehors d’un strict cadre marchandisé ;
— aujourd’hui, un « petite minorité » (admettons) qui représente tout de même une quantité phénoménale d’individus, s’exprime librement, facilement, gratuitement en ligne ;
— Wikipédia (pur contenu généré par les utilisateurs, et de grande qualité) fait en France presque autant de visites que le groupe TF1 (considérant qu’une partie du trafic du groupe TF1 est dû à Over-blog), et plus que le groupe Figaro ;
— selon le Journal du Net, le nombre moyen de visiteurs uniques pour chaque blog serait de 20 000 par mois !
Par ailleurs, il y a une militance et un discours contre les reculs de cette liberté. Des sites comme la Quadrature du Net ou Numérama ont remplacé des sites comme uZine. Ils le font autrement, mais il est assez remarquable de retrouver parfois des arguments parfaitement similaires.
Ce qui nous amène à un dernier point : l’activisme politique contre l’expression publique en ligne et l’existence d’un Internet d’échange.
Mais cet activisme politique n’est pas nouveau. Le discours politique et médiatique basé sur la diabolisation du Web et des internautes existe depuis la fin des années 90. La volonté de « régulation du Web » est une vieille lubie.
Ce discours est dramatique. Il était déjà dramatique alors, et motivait largement notre militantisme.
Mais :
— ce discours est largement inefficace à juguler le développement de la liberté d’expression publique ; malgré les reportages scandaleux et les lois à la con, l’exercice de cette liberté n’a cessé de se développer ;
— les forces de résistance à ce discours sont loin d’être nulles ; par exemple les mobilisations lors de Hadopi ont existé et elles ont été exemplaires.
Une autre façon de considérer le discours politique et médiatique est de supposer que son but, ou effet pratique, n’est pas tant de fabriquer des lois à la noix, mais de provoquer un refroidissement des ardeurs libertaires et de favoriser un comportement conformiste, moutonnier et consumériste. Mais à chaque épisode législatif débile, on ne constate qu’une chose : le mépris grandissant des internautes pour des représentants considérés comme incompétents.
La situation catastrophique, pronostiquée depuis 1996, est en pratique la suivante :
— quand je publie des billets de blog, j’ai des milliers de lecteurs en quelques jours (d’autres que moi touchent des dizaines de milliers de lecteurs sur des sujets ardus) ; dans la vie en dehors du Web, je n’avais que les lecteurs du journal des étudiants de mon école (et ça ne parlait pas vraiment de politique) ; depuis 1996, le nombre de lecteurs que je parviens à toucher n’a pas baissé, bien au contraire ;
— quand je cherche de la documentation sur n’importe quel sujet, je trouve immédiatement une quantité astronomique de choses d’une qualité étonnante, dont la majeur partie est mise en ligne en dehors du cadre marchand ; quand je relis mes billets bien pourris et bourrés de fautes de mes débuts et que je compare les billets remarquables que je peux lire tous les jours sur le Web d’aujourd’hui, je trouve difficile de parler de baisse de niveau ou d’immaturité ;
— je n’ai plus aucun besoin des filtres et de la hiérarchisation réalisés par des équipes éditoriales de journalistes professionnels pour suivre l’actualité ; ce sont des réseaux plus ou moins informels d’usagers qui se chargent de le faire, avec une qualité et une efficacité infiniment supérieures.
Bref : la massification monstrueuse du Web depuis 1996 a donné à la fois énormément plus de lecteurs pour ceux qui s’expriment, y compris sur des sujets difficiles, et énormément plus d’auteurs non-marchands de qualité quand on veut s’informer et se documenter (et même se divertir).
La massification a de plus amené sur le réseau une pléthore de gens compétents sur chaque domaine de l’expérience humaine. Ils produisent une information à laquelle je n’aurais jamais eu accès auparavant, et ils produisent aussi les filtres, la hiérarchisation et l’analyse dont je peux avoir besoin sur chaque sujet.
Alors, oui, la situation pourrait être meilleure. Alors, non, tout le monde ne s’est pas mis à se passionner pour des sujets qui sortent de l’imposition médiatique. Non, l’usage massif d’internet ne nous a pas (encore ?) fait sortir du capitalisme, ni même du néolibéralisme.
En revanche, l’exercice de la liberté d’expression publique via l’internet est un phénomène massif, qui produit massivement des contenus de qualité, contenus qui sont consultés... massivement. Le monde a déjà changé et il est toujours en voie de profonde mutation. Déjà le discours politique a largement échappé à ceux qui en avaient le monopole.
Évidemment, la « fabrique du consentement » (Chomsky/Herman) existe toujours, mais je suis persuadé que l’internet est aujourd’hui l’un des principaux outils de résistance à cette fabrique. Et je ne vois pas ce qui, aujourd’hui, menace plus cet outil aujourd’hui qu’à la fin des années 90, et ni en quoi cet outil serait moins efficace aujourd’hui qu’à l’époque où les « générations précédentes » rêvaient d’un « avenir radieux de l’internet ».
Cet espèce d’âge d’or du web et ses promesses esquissées n’ont jamais existé, ce que les gens aiment se rappeler avec regret n’est que leur naïveté temporaire face au discours promotionnel des grands médias découvrant Internet avec ravissement et le présentant comme la nouvelle grande échappée du réel.
Les "générations précédentes" n’ont jamais rêvé d’un "avenir radieux de l’internet" puisque l’assise des grands groupes médiatiques, l’omniprésence de la pub et des impératifs commerciaux ont toujours été bien visibles comme principes fondamentaux du web. La différence s’opère au milieu des années 90, alors que l’accès internet commence à se démocratiser et qu’apparait soudain un discours utopiste grossier visant à séduire le consommateur - discours (et c’est là le plus drôle) repris par les consommateurs eux-mêmes depuis lors.
"Bon sang, mais internet ne serait pas l’espace de libre expression et d’échange de hautes pensées que Free/Blogger/Facebook m’a décrit ? M’aurait-on menti ?". Éa alors, quelle surprise !
Il y a 15 ans déjà, le "tRoU dU cULz hiDEoUt" se moquait de ce marketing aux gros sabots dans un paragraphe prophétique :
"Dans les années 60-70, des milliers de chercheurs, de scientifiques, d’ingénieurs, réunissèrent leurs efforts pour créer un réseau d’ordinateurs à l’échelle mondiale, capable de transporter des données au dela des océans et des frontières. Ils pensaient que cette aventure extraordinaire permettrait aux cerveaux du monde entier de faire connaitre leur travaux, de répandre leur savoir et leur reflexion. Au dela d’un réseau d’ordinateur, c’etait un réseau d’êtres humains qu’ils voulaient tisser, pour faire avancer l’humanité toute entière, partager l’information, la connaissance. Heureusement pour nous, tout cela disparaitra bientôt, et nous pourrons enfin faire d’Internet ce que nous voulons tous : une boite de nuit virtuelle géante ou on drague des boudins sur IRC en écoutant un mp3 de Ricky Martin tout en scannant sa photo en 16 millions de couleurs pour etre élu Mister Infonie."
http://www.tsgk.net/cowboyz/tdc.html
Bonjour
Réflexions intéressantes, dont je vais m’efforcer de tenir compte. ;-)
Une ou deux remarques : ce rêve de web, il a bien existé. Je n’ai pris dans ce billet que l’exemple de JP Barlow, qui en est une très bonne illustration. Mais il y en a beaucoup d’autres. Éa ne veut pas dire pour autant, bien entendu, que ces rêves étaient partagés par tous.
Par ailleurs, l’"histoire" de ces dernières années du web que vous retracez me semble un peu trop "linéaire", comme si l’augmentation considérable du nombre d’utilisateurs changeait le web de manière "proportionnelle". Je crois pour ma part que ce n’est pas le cas. L’arrivée massive et récente de nouveaux utilisateurs change la structure générale de l’ensemble des utilisateurs.
Entre les 16 millions d’internautes il y a 15 ans et le milliard et demi aujourd’hui, il y a plus qu’un simple changement de dimension. La proportion d’aventuriers, d’explorateurs, d’innovateurs, de geeks et autres poètes était sur-représentée sur le web du début, par rapport à leur proportion dans l’ensemble de la société. Ils ont contribué à façonner le web selon leurs particularités. Aujourd’hui que les usagers du web ressemblent de plus en plus à la population elle-même, ces précurseurs sont amenés à être dilués (même s’ils restent aussi nombreux, voire plus nombreux, en valeur absolue). Éa conduit à mon avis à une évolution du web qui sera différente, et le tournant me semble se produire en ce moment.
Salut Narvic,
Tu cites Barlow (le tutoiement faisait partie des « valeurs de l’internet »), comme si c’était un texte un peu ridicule. Au contraire, c’est un texte utopique au sens noble du terme.
Ce texte a été publié en réaction à l’une des premières tentatives politiques de « réguler » l’internet. Il s’oppose au modèle antérieur qui « justifierait » cette tentative de régulation : la privatisation de l’expression publique et du débat politique au profit d’une minorité, privatisation qui se « justifiait » par la rareté des supports et par le besoin de processus industriels coûteux pour la production et la diffusion. Et tu ne peux pas résister à cette privatisation sans exposer un modèle inverse, tu ne peux pas dire « d’accord avec cette privatisation, mais laissez-nous une réserve d’indiens pour continuer à faire joujou en marge du système ».
L’internet a amené une situation entièrement nouvelle : il n’y a plus de rareté des supports, et il n’est plus besoin d’un processus industriel pour que le citoyen exercice directement sa liberté d’expression publique. Il y a donc un changement total de paradigme, et c’est ce qu’expose Barlow. Il expose ce paradigme nouveau, et évidemment ce texte est utopique : puisqu’il n’y a pas de rareté, puisqu’il n’y a plus de processus industriel, la privatisation de l’expression publique ne devraient plus exister.
Ensuite, personne n’est naïf. Le modèle antérieur est puissant et est soutenu par les plus gros intérêts politiques et économiques. Donc il ne va pas disparaître du jour au lendemain sans résister. Mais le texte de Barlow (et d’autres) fonde un corpus théorique qui permet de résister aux agressions par les tenants du modèle antérieur : quand le vieux système débarque sur le Net avec la force de l’évidence (il faut des journalistes professionnels pour s’exprimer à la place des gens, il faut des politiciens professionnels pour exercer le débat politique à la place des gens, au seul motif que « c’est comme ça que ça se passe »), tu as de quoi répondre : non, ça n’a plus de raison de se passer comme ça, parce que la rareté et le besoin d’un processus industriels n’existent plus sur l’internet. Ce texte utopique donne les moyens de penser la réponse et la résistance à la privatisation capitaliste de l’expression publique.
Le second point que tu abordes dans ton message, ce sont les risques liés à la massification. Je n’ai jamais prétendu qu’en passant d’une poignée d’usagers sur-motivés et bidouilleurs (par la force des choses) à des millions d’usagers, l’exercice de cette liberté se ferait dans les mêmes proportions. J’écris même qu’il serait étonnant que des gens qui ont déjà et naturellement l’usage d’une liberté ressentent le besoin de se mobiliser pour elle ; je suis même surpris de voir encore autant de mobilisations sur ces sujets. Donc, non, pas de progression « linéaire », et encore moins proportionnelle.
Mais les articles du Journal du Net donnent des chiffres troublants :
— la moitié des blogs sont tenus par des 18-24 ans (contrairement à ce que laisserait supposer le constat d’une génération « post-micro ») ;
— les blogs seraient visités en moyenne par 20 000 visiteurs par mois (ce qui est proprement sidérant) ;
— la progression du nombre de blogs est bel et bien linéaire (alors même que le blog n’est plus du tout le seul moyen de s’exprimer en ligne, et est surtout un moyen de moins en moins médiatisés) ;
— le nombre de blogs outre-Atlantique représente 13% des usagers de l’internet, et les projections prévoient d’arriver à 17% en 2013.
Alors, non, l’utopie exposée par un Barlow ne s’est pas pleinement réalisée ; mais avait-elle vocation à se réaliser telle quelle et immédiatement, ou à servir de fondation d’un corpus théorique du « ce vers quoi nous souhaitons aller » ? Et pour moi c’est clair : si le « vers quoi nous souhaitons aller », c’est la fin de la privatisation capitaliste de l’expression publique et du débat politique, nous nous en sommes rapproché de manière spectaculaire depuis 1996. Nous ne vivons pas dans cette utopie, mais au lieu de nous en éloigner, nous nous en sommes rapprochés.
Et je ne vois pas non plus ce qu’il y a de nouveau aujourd’hui par rapport à toutes les évolutions que nous avons souvent déjà « subies » depuis 1996 (multiplication des lois à la con, omniprésence d’un discours de diabolisation, massification, standardisation/simplification des clients, marchandisation, accès asymétrique, promotion du consumérisme...), qui ferait qu’« en ce moment », nous serions à un tournant plus dangereux.
Petit malentendu : je ne trouve pas du tout ridicule la déclaration de JP Barlow, c’est même un texte magnifique. J’ai écrit "rêve" et tu dis "utopie", ça revient au même à mon sens. Et s je me souviens bien de Thomas Moore, le propre de l’utopie est de n’être nulle part et elle n’a pas vocation à être réalisée. Ou alors on parle d’autre chose. Ce n’est plus une utopie, mais un véritable projet politique.
Mon opinion est que ce projet politique libertaire de l’utilisation d’internet comme un espace d’expression libre est socialement très minoritaire, et j’ai bien peur qu’il le reste. La création et la mise à disposition des outils ne créent pas les usages et n’entraine pas leur généralisation. Les techniques sont indispensables, mais elles n’ont jamais été les moteurs des changements auxquels elles sont associées.
Ce n’est pas l’invention de l’imprimerie qui a entrainé la prodigieuse diffusion du savoir qui a conduit de la Renaissance au siècle des Lumières, sinon elle aurait produit le même effet lorsqu’elle avait été déjà inventée en Chine quelques siècles auparavant, ce qui ne fut pas le cas, car les conditions sociales, politiques, économiques et culturelles étaient différente en Chine et dans l’Europe des XV-XVIe siècles.
Le cas de l’imprimerie est d’ailleurs intéressant à comparer, puisque le développement de cette technique de diffusion massive du savoir a conduit à des effets fortement contradictoires : favoriser le partage de savoir et la tolérance religieuse parmi certaines élites lettrées cosmopolites européennes, constituant cette première communauté intellectuelle virtuelle qu’on a appelé la République des Lettres, mais en parallèle la diffusion massive de la Bible en langues vernaculaires dans les foyers aura également été un puissant facteur accroissant l’intolérance, le fondamentalisme et le communautarisme religieux en Europe.
Internet a offert de nouveaux moyens d’expression à ceux qui en cherchaient et qui se sentaient (ou étaient véritablement) exclus des systèmes médiatiques ou académiques, qui monopolisaient auparavant l’expression socialement légitime. Cette extension ne signifie pourtant pas généralisation. Et cette extension se révèle d’ailleurs limitée.
Je maintiens qu’un "effet d’optique" aura même eu tendance à sur-évaluer cette aspiration à l’expression sur internet, du seul fait qu’internet fut dans un premier temps un point de ralliement de ceux qui avaient justement cette aspiration. La massification de l’usage d’internet aujourd’hui ne fait qu’y amener un public nouveaux, dont rien ne dit qu’il a les mêmes aspirations : sinon il y serait venu plus vite, et il y serait même depuis longtemps, et en arrivant il se porterait de préférence sur les outils d’expression disponibles, ce qui n’est pas le cas (les nouveaux publics utilisent avant tout internet comme un outil de socialisation et de loisirs, et pour des services, notamment marchands).
Je crois que cette massification de l’usage d’internet change en profondeur la situation et va influer très fortement sur ses développement à venir.
Je partage en fait très largement l’analyse du sociologue Dominique Cardon :
"Ce désajustement entre les idéaux de lÉ-Internet politique et les pratiques du web nÉ-est pas nouveau. Il fait en quelque sorte partie de son histoire, constamment nourrie par une conflictualité féconde entre lÉ-Internet marchand et lÉ-Internet non marchand. Mais, comme lÉ-a montré Jonathan Zittrain, un tel changement dÉ-échelle dans les usages conduit à rendre ces décalages beaucoup plus apparents. Il augmente considérablement les risques de voir certains des choix technologiques les plus structurants dans lÉ-organisation de lÉ-Internet être remis en cause au nom de la sécurité et de lÉ-obligation de qualité qui seraient dues aux nouveaux entrants, moins compétents pour affronter les aléas techniques du réseau. Une tension de plus en plus forte se fait ainsi jour entre les militants de lÉ-Internet du premier âge et leurs enfants, entre les partageux du wiki et les pokeurs de Facebook, entre les codeurs de communautés et les « customiseurs » de page MySpace, etc."
La question me semble aujourd’hui bien plus préoccupante que celle d’une énième tentative de mettre en place des "lois à la con". Il s’agit bien pour moi des "risques de voir certains des choix technologiques les plus structurants dans lÉ-organisation de lÉ-Internet être remis en cause"...
OK Narvic, désolé pour le malentendu sur Barlow.
En revanche, pour l’analyse, c’est sur la pratique qu’elle bute. La théorie est bien amenée et tout à fait convaincante mais, encore une fois (je me recopie) :
– la moitié des blogs sont tenus par des 18-24 ans (contrairement à ce que laisserait supposer le constat dÉ-une génération « post-micro ») ;
– les blogs seraient visités en moyenne par 20 000 visiteurs par mois (ce qui est proprement sidérant) ;
– la progression du nombre de blogs est bel et bien linéaire (alors même que le blog nÉ-est plus du tout le seul moyen de sÉ-exprimer en ligne, et est surtout un moyen de moins en moins médiatisés) ;
– le nombre de blogs outre-Atlantique représente 13% des usagers de lÉ-internet, et les projections prévoient dÉ-arriver à 17% en 2013 ;
– Wikipédia a autant de visiteurs que le groupe TF1.
Chiffres qui ne témoignent pas d’un décrochage entre les « partageux » des origines et des « lurkeurs » d’aujourd’hui.
Cher Narvic, tu écris :
« Je maintiens quÉ-un "effet dÉ-optique" aura même eu tendance à sur-évaluer cette aspiration à lÉ-expression sur internet, du seul fait quÉ-internet fut dans un premier temps un point de ralliement de ceux qui avaient justement cette aspiration. »
C’est tout à fait exact. Nous étions peu et nous voulions beaucoup. Mais d’une certaine façon, c’est probablement la seule victoire que nous puissions éventuellement revendiquer : d’avoir trompé le monde, pour le dire en déconnant. D’avoir, avec d’autres, beaucoup d’autres bien sûr, imprimé (!) sa marque au Net. Une sorte de marque sans logo, avec un seul but : l’expression totale de tous par tous. Et, en ça, je souscrits à ce qu’écrit ici Arno.
@ Narvic : Imaginons un seul instant que le Net soit passé du monde militaire puis universitaire aux marchands directement, sans cette phase dite du « web indépendant » ? Cette phase d’« aspiration7 pour reprendre tes termes. Je crains que tu n’aurais pas même de quoi alimenter ton propre discours.
@ Arno : merci de me réveiller, vieux frère. Et merci de me répéter, comme d’habitude, tous les dix ans, que j’ai (on a ?) eu tort de toujours prévoir le pire, plutôt que lui balancer une bonne... rafale ,-)
@ Arno et @ Narvic, content de vous lire ensemble.
"la moitié des blogs sont tenus par des 18-24 ans", et bon sang quelle EXCELLENTE nouvelle.
Mais ce qui m’amuse le plus est de voir également ressortir de leurs marécages respectifs quelques respctables dinosaures (et je me compte dans le nombre) pour d’une façon ou d’une autre, reprendre le fil de quelques utopies fondamentales à peu près là où nous les avions laissées.
"Revolution", donc, au plein sens premier du terme (l’orbital).
Ils n’ont pas gagné.
Nous n’avons pas perdu.
Deuxième round.
Et le futur n’est pas écrit...
Au plaisir de vous recroiser bientôt les gars...
Olivier Lefèvre
ex "facteur d’anacoluthe", (le site arrogant et prétentieux qui ne fait rien comme tout le monde / 1996 - 2000)
Je me souviens très bien de ces deux articles, pour les avoir moi-même cités à l’époque, tellement je me sentais sur la même longueur d’ondes. En vous relisant, j’ai l’impression que, plutôt que l’immaturité des internautes, c’est l’immaturité des commentateurs que nous aurions dû davantage souligner : on craint la perte de ceci ou de cela, ou bien on s’extasie sur ceci ou cela É-mais sans prendre le recul historique nécessaire qui permettrait de mieux se rappeler que, derrière tout outil technologique, il y a le facteur humain. En fait, nous le sentions tous intuitivement É-mais ce n’est pas facile à mettre en mots.
J’ai souvent eu l’impression pessimiste que ces commentaires immatures, en recevant l’accueil à bras ouverts qu’ils ont reçu (le Web consumériste, grand Satan ou bien à l’inverse, Internet, l’Utopie), nous ont empêché, comme communauté, de profiter pleinement des réelles opportunités qu’offrait Internet pour élargir l’expression des idées jusque chez ceux qui en avaient vraiment le temps et l’énergie (autrement dit, énormément de gens qui auraient des choses intéressantes à dire, aujourd’hui encore, n’utilisent pas les outils d’Internet). Mais peut-être est-ce faux ; peut-être que, quoi que ce soit que nous aurions pu faire, c’était une évolution inévitable, presque darwinienne : envers et contre tous, le web devenu blogosphère a continué son petit bonhomme de chemin, élargissant mois après mois, année après année, son rôle de gigantesque auditorium, ou de salle de réunion mondiale, ou de microphone démultiplié à des millions d’exemplaires... Et cette évolution, quoi que nous puissions penser des bons et des mauvais côtés des blogues ou des réseaux sociaux, se poursuit encore...
Et par exemple, un lecteur peut juger suffisant d’indiquer deux corrections possibles : "n’a cessé" et "la majeure partie", sans pour autant devoir être compté parmi de supposés immatures passifs. Merci pour ces réflexions.
Ma foi, je pense que je partage bon nombre de tes idées issues de ce raisonnement.
Et je verse une petite larme sur Mygale ou Altern que j’ai eu l’occasion moi aussi de fréquenter.
La liberté a maintenant un prix.
Je crois que la grosse différence cÉ-est que, à lÉ-époque, beaucoup de choses étaient encore à concevoir.
Donc, ce ne pouvait être que des « rêves ». On devait imaginer, parce que ça nÉ-existait pas encore.
É lÉ-époque, cÉ-était des concepteurs qui construisaient un univers É- la « toile » É- dans lequel ils allaient vivre. AujourdÉ-hui, cet univers est là, et beaucoup de gens qui le découvrent, lÉ-utilisent et É- on peut dire É- qui vivent dans cet univers, nÉ-ont pas eu besoin de se mettre dans la peau de « concepteur ». Ils nÉ-ont sûrement plus cet esprit de « constructeur dÉ-univers ». Ce sont juste des utilisateurs. Des utilisateurs qui nÉ-imaginent même peut-être pas que lÉ-univers dans lequel ils vivent puisse être différent ! Et, il faut aussi, surtout, croire que les idées des concepteurs ne se transmettent pas aussi facilement que ça aux utilisateurs.
CÉ-est en lisant :
Que jÉ-ai réalisé que, sûrement, le meilleur moyen de réussir cÉ-était de créer son « univers » É- logiciel, site, serveur, etc. É- et de le faire exister. Après, cÉ-est le jeu de lÉ-attractionÉ� libre à ceux qui passent à proximité de venir se greffer dessus.
CÉ-est flagrant avec lÉ-iPad, un univers créé par Apple. CÉ-est frappant de voir le nombre de personnes qui cherchent ce quÉ-ils vont bien pouvoir faire avec, qui lui cherche une future fonction !
Je crois que celui qui maitrise, celui qui mène la danse, celui qui créer des univers avant les autres, etc. a la maitrise de lÉ-avenir : il va conditionner la façon de voir des gens. CÉ-est comme sÉ-il offrait en cadeau un récipient. Éa va être aux utilisateurs de sÉ-arranger pour tenir dedansÉ� et après, une fois (enfermé) dedans, ça va être très difficile pour ces utilisateurs de penser « en dehors de la boîte ».
Je crois que si on veut que son rêve se réalise (quel quÉ-il soit), il faut absolument créer et faire exister son « univers »É� avant que dÉ-autres ne le fassent. Cela peut être exigeant en moyens, en ressources, etc. mais si on ne veut pas quÉ-une majorité se fasse enfermer, cÉ-est le meilleur moyen. Parce quÉ-après, ça demande plus dÉ-efforts, sans parler du risque dÉ-« enfermement propriétaire »É�
Hello scarabée, ça fait plaisir de te voir agiter les mandibules.
Dans une visée dialectique crypto-matérialiste j’ajouterais : nada.
Je souscris plutôt à la vision d’Arno* sur le court terme, mais ce qui m’interpelle c’est la vision un poil "netocentriste" de Narvic comme de l’auteur du papier ci-dessus. A ce que je sache, le "livre" le plus diffusé de nos jours est le catalogue Ikéa, ce qui n’autorise pas pour autant une condamnation sans appel de la civilisation de l’imprimé. Entre supermarché et salle de jeux, les bibliothèques ont de beaux restes... Le web n’est pas tant redevable à ses papas "bâtisseurs", à ses early adopters ou plus généralement à ses gentils users qu’au contexte historique (de brique et de mortier, à 99,9 %) dans lequel il prend forme. Vouloir observer le web en tant que web, c’est un peu comme reproduire l’expérience du savant qui arrache une à une les pattes d’une grenouille et déplore sa surdité. Etrangement, il se dégage d’un côté comme de l’autre (Narvic / Arno*) l’impression lancinante que le web pourrait... ne pas être. Ou plutôt qu’il est un "accessoire", sans être irrémédiablement, fusionnellement et génétiquement lié à la société. Une étonnante nostalgie de l’avant, dont la pensée dialectique crypto-matérialiste n’a évidemment rien à carrer ; )
Cela dit avec tout l’intérêt et le plaisir, sincères, que j’ai à lire vos textes. Continuez !
Purée, le Scarabée, je l’avais oublié (désolé) ! Et le web indépendant avec sa mitraillette, et tous ces noms qui résonnent, Uzine, Mygale, Altern... Toute une époque hein.
Vous parlez de Jean-noël Lafargue, et justement, sur son blog, il y a un article qui m’a récemment rappellé d’autres souvenirs de la même époque : le journal ">Interactif" ( http://www.hyperbate.com/dernier/?p=9238 ) ... ça aussi j’avais complètement gommé de ma mémoire. Quinze ans, on a eu le temps de perdre des cheveux et de gagner quelques tailles de pantalon hein. Pourtant pas l’impression d’être si vieux.
Maintenant, ancien combattant, j’en pense quoi de tout ça ? Les jeunes sont différents c’est sûr mais c’est normal, pour eux il n’y a plus tellement de choses à conquérir sur le réseau, ils sont des "natives" pas des "pioneers", ils sont habiles et ignorants à la fois, pour eux tout ça existe depuis toujours. Comme la jeunesse sera toujours jeune, ils trouveront d’autres trucs. J’espère.
Content de te revoir Arno*, et félicitations pour ce retour en force.
J’ai découvert le "web indépendant" exactement en même temps que l’Internet tout court (j’avais alors une douzaine d’années) ; aujourd’hui je me trouve pleinement engagé en faveur des licences libres (projet GNU,...) et de la citoyenneté du XXIè siècle (Parti Pirate,...), et à plus d’un titre je revendique pleinement (et fièrement) la filiation du web indépendant, d’uzine etc.
Ce que je me permets de retenir avant tout de ton article, c’est que quoi qu’il arrive la vigilance est (et demeure) primordiale. Certes de nombreux signes sont positifs (et il s’écoulera encore beaucoup de temps et de "lois à la cons" avant que l’Internet ne soit mis au pas), mais rien n’est acquis — ni plus ni moins que la démocratie ou les droits de l’homme, en un sens. Et c’est peut-être l’atout majeur de cette diversification, de cette réappropriation de l’information et de l’expression que permet Internet : échapper au ronron monotone d’une source unique d’information, style dormez-bonnes-gens.
Je n’ai pas le souvenir, même à l’époque, que le mouvement du "web indépendant" n’ait envisagé (ni encore moins exigé) l’avènement d’un monde nouveau, là, boum, tout de suite. Ce que vous avez fait, et qui *devait* être fait, ce fut de dévoiler les immenses possibilités qu’ouvraient la libération de l’information, et leurs implications à long terme pour les citoyens, ici puis un peu partout. Comme beaucoup de gens (jeunes mais pas que), je n’aurais jamais pris conscience de tous ces possibles sans votre travail à tous, et sans la communauté du logiciel Libre (qui naissait en France précisément à la même époque). Et nous sommes nombreux à savoir ce que nous devons au "web indépendant".
Ah ouaaaais ! Le web indépendant, non-marchand, alternatif et citoyen !
Ah comme ça fait du bien d’entendre à nouveau parler de ça !!
Et sinon, Arno*, comment se porte votre start-up ? Bien ?
Je veux parler du magazine de mode en ligne "Flip-Zone" : http://www.flip-zone.com/
Salut Francis,
Si vous voulez faire la liste des sites marchands que j’ai réalisés, vous n’êtes pas au bout de vos peines. Il y en a des dizaines. Ma « start-up », ça n’est pas Flip-Zone, mais Paris-Beyrouth.
Ah bon, vous l’avez simplement réalisé ? Je croyais que c’était à vous. Mes excuses.
Non non, Flip-Zone est bien à moi et à ma douce et tendre. Je veux dire que ce qui me fait réellement vivre, cÉ-est Paris-Beyrouth.
Dans ce cas, je vous souhaite beaucoup de succès et d’argent.
J’espère qu’un jour, comme cet autre héros du web indépendant (Laurent Chemla), vous pourrez toucher un gros chèque de quelques millions d’euros en déclarant sans rire : "Faut-il aller poser des bombes ? JÉ-hésite toujours..."
(Source : http://www.a-brest.net/article1644.html )
Sinon c’est dommage d’avoir censuré le message de (certes critique, mais très poli) de Ladin ici-même hier.
Ah ! ça a vraiment de la gueule le web indé... 10 ans plus tard !
Salut Arno,
Content de voir que tu es revenu en forme. Encore plus content de voir que tu y crois toujours.
Moi aussi (n’hésites pas à lire la fin de http://www.cyroul.com/tendances/pour-arreter-de-bloguer-dans-un-violon/ où je cite des passages du manifeste.) A bientôt pour une bière ou une discussion autour de Jean Rollin.
@Francis Pour ma part je pense que gagner de l’argent et continuer à faire vivre certaines valeurs et idéaux n’est pas du tout incompatible. Au contraire, car arrêter un rouleau compresseur en se mettant sur le côté de la route n’a jamais fonctionné.